16 mai 2021

Limites ? Un pont trop loin ? - danse 46.11

Les discussions lancées par Bruno interpellent finalement la place du prêtre. En triple écho et communion avec les propos de Bruno Anel, Claire CV et Sylvaine Landrivon voire ceux de Marie Jo Thiel repris par Marie Odile Dervin sur « réflexion théologique » et mon billet précédent je m’interroge sur la fonction même du prêtre. Est-il le maître de l’eucharistie ? Est-elle sa chose ? Comment interpréter fondamentalement le sens du début du canon 906 déjà cité qui spécifie : « Le prêtre ne célébrera pas le Sacrifice eucharistique sans la participation d'un fidèle au moins. » ? 

Pourquoi cette limitation ?

Il me semble qu’il faut creuser cela.

Dans ce temps particulier de l’entre-deux entre l’ascension et la Pentecôte, avant que l’Esprit embrasse toute l’Église il est intéressant de rappeler que la Présence réelle n’est pas la chose du prêtre mais un don de Dieu.

Rappelons-nous l’épisode de Pierre en Jean 21 (*). Il est moteur de la pêche nocturne mais ne prends rien… il faut l’action et la Parole du Verbe pour que cette pêche devienne miraculeuse. 


L’enjeu est peut-être de comprendre que la vocation sacerdotale n’efface pas la dimension diaconale première, que l’eucharistie ne découle que de la danse kénotique et trinitaire et n’est pas, jamais le fait de l’homme. « Tu n’aurais ce pouvoir si Dieu ne te l’avais donné » avait glissé Jésus à Pilate…

En survalorisant la place du prêtre nous avons/risquons de tuer l’Église… il nous faut probablement contempler que la vocation sacerdotale est essentiellement une fonction diaconale avant d’être signe pastoral, c’est à dire capacité à structurer l’Église, voire que l’autorité n’est pas innée mais découle uniquement de la capacité du prêtre à s’agenouiller dans le schème trinitaire et kénotique qui le fait entrer dans la danse divine de l’effacement. Alors la présence devient réelle car il n’est plus acteur de la transsubstantiation mais serviteur de cette conversion globale du peuple en Corps du Christ… 

Saint Grégoire nous conduit sur ce chemin en méditant le sens de la gloire

« Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée »


« L'unité », dit-il, « consiste en cet aboutissement du salut : tous sont unis entre eux par l'adhésion à l'unique bien, (...)  le sens de ces paroles nous apparaît plus clairement dans le discours du Seigneur rapporté par l'Évangile. Par sa bénédiction, il a donné toute puissance à ses disciples ; puis, en priant son Père, il accorde les autres biens à ceux qui en sont dignes. Et il ajoute le principal de tous les biens : que les disciples ne soient plus divisés par la diversité de leurs préférences dans leur jugement sur le bien, mais qu'ils soient tous un PAR leur union au seul et unique bien. Ainsi, par l'unité du Saint-Esprit, comme dit l'Apôtre, étant attachés par le lien de la paix, ils deviennent tous un seul corps et un seul esprit, par l'unique espérance à laquelle ils ont été appelés. »


« Mais », ajoute-il, « nous ferons mieux de citer littéralement les divines paroles de l'Évangile : Que tous, dit Jésus. soient un, comme toi, mon Père, tu es en moi, et moi en toi ; qu'eux-mêmes soient un en nous. Or, le lien de cette unité, c'est la gloire. Que le Saint-Esprit soit appelé gloire, aucun de ceux qui examinent la question ne saurait y contredire, s'il considère ces paroles du Seigneur : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée. Effectivement, il leur a donné cette gloire quand il leur a dit : Recevez le Saint-Esprit.


Cette gloire, qu'il possédait de tout temps, avant que le monde fût, le Christ l'a pourtant reçue lorsqu'il a revêtu la nature humaine. Et lorsque cette nature eut été glorifiée par l'Esprit, tout ce qui lui est apparenté a reçu communication de la gloire de l'Esprit, en commençant par les disciples. C'est pour cela que Jésus dit : La gloire que tu m'as donnée, je la leur ai donnée ; qu'ils soient un comme nous sommes un ; moi en eux et toi en moi, pour qu 'ils soient parfaitement un.


Celui qui, de petit enfant, est parvenu en grandissant à la stature d'homme parfait, qui a rejoint la mesure de l'âge spirituel ~ ; celui qui est devenu capable de recevoir la gloire de l'Esprit par sa maîtrise de soi et sa pureté : il est cette colombe parfaite que regarde l'Époux lorsqu'il dit : Unique est ma colombe, unique ma parfaite. »(1)


Il faudrait revenir sur cette glorification du Christ homme pour comprendre qu’elle n’est possible que par la croix et la kénose. Il n’y a pas de gloire sans agenouillement… en écho à mon billet précédent.


La difficulté à laquelle nous arrivons, dans cette lancée est de ne pas considérer la gloire comme un acquis magique donné par un sacrement qui rendrait le prêtre vêtu d’un pouvoir ineffaçable mais bien de considérer la « dynamique sacramentelle » (2) dans l’axe même d’un éternel mouvement insaisissable entre Dieu et l’homme, cette « course infinie »(3) qui ne nous permet jamais d’affirmer que nous détenons seul un pouvoir, fut il donné par l’évêque, mais qu’il reste lié à cette abandon visé par Philippiens 3, cette course infinie (3);dont le même Grégoire de Nysse s’est fait le grand porte parole. 


«Mais ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte à cause du Christ. En fait, je considère tout comme une perte (...) Il s’agit maintenant de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en étant configurés à lui dans la mort, pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement; mais je le poursuis, tâchant de le saisir, pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. En ce qui me concerne, mes frères, je n’estime pas moi-même l’avoir déjà saisi; mais une seule chose compte: oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ.»

‭‭Philippiens‬ ‭3:7-15‬a


La capacité d’être prêtre n’est pas un acquis définitif. Il reste un don et une dynamique fragile, plus encore une vocation à la fois sublime et peut-être « impossible à l’homme » au sens de Mat 19,  mais pourtant donnée par Dieu comme un appel et une éternelle vocation, au même titre que le mariage, dans un autre ordre, n’est signe, que s’il reflète, non l’amour fragile des époux, mais sa capacité à signifier ce à quoi il est appelé, au sens donné par le « comme » d’Ephésiens 5…


Je l’ai déjà glissé, le prêtre n’est pas saint par nature, il peut le devenir au bout du voyage. Le sacrement de l’ordre ne le sanctifie pas « subito » mais le met en marche au même titre que le baptisé, qui revêtu de blanc, doit continuer à purifier son habit baptismal…


Mais peut-être vais-je un pont trop loin en disant cela…


(1) Gregoire de Nysse, Homélie sur le cantique des cantiques, source office des lectures du 7eme dimanche 

(2 et 3) cf. mes essais éponymes 

(*) sur ce thème voir mon commentaire dans « à genoux devant l’homme » plus développé que celui de Zumstein (op. cit. p.300) que je trouve bien frustrant compte tenu de l’enjeu ecclésiologique qu’il évoque sans développer et que je cherche à manduquer ici. 


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