16 mai 2021

Quel sacerdoce pour demain ? - danse 46.8

Dans des billets récents, je discutais, non sans une pointe d’ironie, le fait que Jésus puisse être appelé prêtre. Mes arguments portaient d'abord sur la distance entre la fonction sacerdotale juive et le ministère de Jésus. Il y a évidemment aussi une distance avec la définition et le recentrage de la fonction du prêtre précisée par Trente (1) ou remodelée par le droit canon après Vatican II. On peut toujours évoquer,  comme le fait Hébreux, le sacerdoce selon Melkisedeck, mais que nous apporte cette référence antique ?

La lecture de Zumstein (2) me semble confirmer que la véritable dimension sacerdotale du Christ à contempler se trouve dans cette diaconie particulière du lavement des pieds. Il insiste de manière intéressante sur la double facette du verbe aimer (agapèsas et égapen) pour faire vibrer l’aoriste grec dans une contemplation du « aimer en actes et en vérité » que nous contemplions dimanche dernier.

Pour lui le lavement des pieds est une rupture particulière dans la pédagogie johannique entre le chemin de vie des 12 premiers chapitres et « l’heure » de la Croix, rejoignant ce que je soulignais déjà chez Xavier Léon Dufour : il s’agit d’entrer maintenant, par un « mime » (sic XLD), que je qualifierais de sacramentel (même s’il n’est pas dans les sept) dans le sens même de l’aimer jusqu’au bout de la Croix.(3)


« Ayant aimé (agapesas) les siens il les aima (égapen) jusqu’au bout... » Jn 13, 1


Le Verbe agapè que Paul définit en 1Co 13 et que Jean articule en Jn 21 dans la triple question à Pierre prend par ce deuxième prologue johannique de Jn 13, 1 sa portée prophétique... 

C’est d’ailleurs dans cette tension entre Jean 13 et 21 qu’il faut probablement entrer. L’interpellation entre Jésus à genoux devant Pierre (sous entendu toute l’Église ?) et le triple « m’aimes-tu ? » de 21 constitue une forme méga-concentrique que l’on pourrait décrire ainsi :

A - ayant aimé/ aimant les siens il les aima jusqu’au bout (agapè)

     B - je suis (ego eimi)

          Lavement des pieds /Croix

     B’ je ne suis pas (ouk eimi)

A’ m’aimes tu ? (Agapè)


Je trouve qu’il y là l’essence du nouveau sacerdoce que le Christ institue. Loin de toute ritualité figée, cette idée est finalement au cœur de la danse christique que je ne cesse d’évoquer car elle interpelle « vectoriellement » (4) la vocation sacerdotale de tous baptisés.

Cela ne supplante pas la dimension de berger ou de pasteur que souligne le droit canon (5) - voir mon billet précédent - mais développe et élargit l’appel diaconique au rang de méga-sacrement, d’hyperbole ou de métaphore vive(6).


Pourquoi insister là dessus ? Probablement parce que la primauté diaconale du prêtre a souvent été supplantée par la tentation cléricale. En cela, je ne critique personne, c’est même presque à moi même que je parle. C’est un travers que j’ai senti dès le basculement de mon statut... Les sachants ont souvent tendance à faire de leurs connaissances une barrière et à s’enfler d’orgueil, chemin qui n’est pas/ qui est loin d’être christique. Il y a donc une saine articulation à retrouver entre dimension pastorale et diaconale, pour aller vers ce qu’un eudiste ami traduit par « vocation apostolique », celle de ceux qui suivent le Christ à genoux devant l’homme...


Une des illustrations à contempler est peut-être dans la manière de communier. Grâce au Covid, mon curé a perçu (l’aie je influencé ?) que la distribution de l’eucharistie primait à la consommation des espèces... ce geste de servir la communauté avant de se servir soi même est plus qu’une règle sanitaire, cela rejoint, je crois, mais je n’ai plus la référence en tête une vieille tradition juive où le maître du repas attend que tous soient servis avant de manger...


 Cette primauté d’autrui est chemin pour redonner goût à la vocation du prêtre qui peut être alors le vrai signe de ce qu’il signifie...


Une autre pas de danse kénotique ?


(1) Relire là dessus l’excellent commentaire d’O Malley

(2) Jean Zumstein, L’évangile de Jean 13-21, Labor et Fides, p. 18sq

(3) je crois que Moingt souligne là dessus dans « Dieu qui vient à l’homme » que le lavement des pieds est, en soi, plus qu’un sacrement, l’essence même de l’Église en service (référence à retrouver).

(4) cf. le billet 46.6

(5) cf. cette belle méditation https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/la-celebration-de-la-foi/le-dimanche-jour-du-seigneur/homelies-du-pere-jacques-fournier/514829-homelie-du-dimanche-25-avril 

(6) Zumstein évoque au même endroit, de manière intéressante, la notion d’hypertextualité


PS: est-ce que mon prisme diaconal aveugle mon jugement ? Je ne pense pas, car cette interpellation vectorielle vise pour moi l’essence même de la nouvelle théologie du laïcat (cf. Congar)

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