16 mai 2021

Quelle morale pour demain ? 46.6

La lecture du tome IV de John P. Meier(1) m’a dérangé et en même temps éclairé sur un point sensible. Pour lui, il est incontestable que la position de Jésus contre le divorce est originale en son temps et va à l’encontre d’une dérive libertaire inspirée en partie du droit romain de l’époque mais aussi présente dans la culture juive.

Pourquoi alors cet apparente permissivité de Jésus vis à vis des femmes adultères qu’elles soient samaritaine ou porteuses de parfum...? Pas de lapidation chez l’homme Dieu 😉, mais un chemin fragile de relèvement, voire, un agenouillement comme celui devant Judas...(2)

Quelle tension théologique ouvre Jésus entre un chemin de crête - le mariage indissoluble - et une miséricorde soucieuse des brebis perdues ?

Les moralistes chevronnés vont dire que je sombre dans le relativisme. Mais il me semble que cette tension théologique est intrinsèque au message évangélique du Christ et plus encore qu’elle se retrouve dans la théologie papale actuelle...

Après 60 ans d’allergie personnelle à toute forme de jugement et de morale pharisienne, il me faut trouver un chemin personnel pour avancer.  Je crois l’avoir trouvé il y a 4 ans dans le concept de « morale vectorielle » découvert par hasard en écoutant Gérard Donnadieu, dans l'introduction de son cours au Bernardins(3). 

Une morale vectorielle ne parle probablement qu’à ceux qui se souviennent du petit symbole qu’on apprenait en physique. Elle prend l’homme là où il en est et l’invite seulement à grandir. Elle m'intéresse parce qu’elle elle rejoint mes travaux sur la dynamique sacramentelle. Son idée qui rejoint les intuitions du pape est de penser la morale, non comme une série d'interdits mais comme des chemins qui conduisent et appellent l'homme plus loin et plus haut. Il y a là une articulation entre morale et miséricorde qui semble intéressante à travailler.

L’application la plus pratique est peut-être à trouver dans les chemins pastoraux que j’ai déjà souvent décrits(4) à la fois vers les couples en souffrance, ceux qui entreprennent le chemin délicat d’une deuxième union, comme ces personnes différentes qui sont touchées par une orientation faussement appelée contre nature. 

Je pense qu’il y a là à penser...

C’est aussi la lecture qu’on peut avoir de Philippiens 3 qui m’habite depuis que - poussé par l’Esprit ? 😉 - nous l’avons choisi il y a 35 ans Daniele et moi pour notre mariage... 

Ceux qui font des injonctions pauliniennes des anathèmes sont invités à méditer la morale vectorielle incluse dans ce passage «  «Moi, (...) circoncis le huitième jour, de la lignée d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu né d’Hébreux; quant à la loi, pharisien; quant à la passion, persécuteur de l’Eglise; quant à la justice de la loi, irréprochable. Mais ce qui était pour moi un gain, je l’ai considéré comme une perte à cause du Christ. En fait, je considère tout comme une perte à cause de la supériorité de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur. A cause de lui, j’ai accepté de tout perdre, et je considère tout comme des ordures, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui, non pas avec MA propre justice, qui viendrait de la loi, mais avec celle qui est par la foi du Christ, une justice venant de Dieu et fondée sur la foi. ».

Quelle est la justice du Dieu amour ? Nécessairement plus large que la nôtre et dans la même sève que le « Père pardonne leur »..

Paul continue, et c’est là mon passage « vectoriel » : « Il s’agit maintenant de le connaître, lui, ainsi que la puissance de sa résurrection et la communion de ses souffrances, en étant configurés à lui dans la mort, pour parvenir, si possible, à la résurrection d’entre les morts. Ce n’est pas que j’aie déjà obtenu tout cela ni que je sois déjà parvenu à l’accomplissement; mais je le poursuis, tâchant de le saisir, pour autant que moi-même j’ai été saisi par Jésus-Christ. En ce qui me concerne, mes frères, je n’estime pas moi-même l’avoir déjà saisi; mais une seule chose compte: oubliant ce qui est en arrière et tendant vers ce qui est en avant, je cours vers le but pour obtenir le prix de l’appel céleste de Dieu en Jésus-Christ.»

‭‭Philippiens‬ ‭3:4-14‬ 


« Va et deviens » (5) ce que Dieu t’appelle à être .


(1) Un certain juif Jésus, les données de l’histoire, IV la loi et l’amour, Cerf, chap. XXXII

(2) cf. À genoux devant l’homme 

(3) Éléments pour un dialogue avec l'islam et le bouddhisme (Podcast du College des Bernardins) disponible sur iStores.

(4) cf. mes travaux en téléchargement libre sur Kobo, « Pastorale du Seuil », « La course infinie »,  sur les divorcés remariés « Dynamique sacramentelle », mon roman théologique « D’une perle à l’autre » tome 1 sur le même sujet et tome 2 « le désir brisé » sur l’homosexualité, qui en décrivant un prêtre idéal - mais inspiré de deux figures réelles - conduit « vectoriellement » à penser son propre chemin de vie, sans compter mes deux trilogies « Humilité et miséricorde » et le sommet qu’est pour moi « À genoux devant l’homme »... 

(5) beau film que je conseille


PS : comme souligné dans un commentaire récent, « le désir brisé » est issu d’une relecture attentive des travaux de X. Thévenot qui reste pour moi une référence sur ce thème. Je l’ai offert à Thomasset et attends, depuis longtemps, son retour 😉 mais qui suis-je face à ces grands...? Pour moi la morale ne s’écrit pas sur des tables de pierre mais par des traits sur le sable, comme en Jean 8 ce qui justifie le passage au roman, qui seul mets en situation des personnages sur leurs « aimer en actes et en vérité »...

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