16 juillet 2007

"Je suis la vérité"

Nous arrivons presque à l’issue de notre lecture de la trilogie balthasarienne avec l’avant dernier tome de la troisième partie : La Théologique, II (1). Hans Urs von Balthasar commence (2) par une question fondamentale. De qu’elle droit, Jésus-Christ ose-t-il dire : « je suis la vérité » (Jn 14,6) ? Pour le théologien, cela doit « s’enraciner d’en haut, suivant le mouvement de quelqu’un qui est venu là pour devenir, sur terre, cette vérité est pour en témoigner ».

Il me semble que cette affirmation interpelle dès le départ notre foi. Nous ne pouvons entrer dans cette dynamique que par un acte de fiance, de foi…

(1) La Théologique, II – Vérité de Dieu, Culture et Vérité, Traduction Béatrice Déchelotte et Camille Dumont, s.j., Namur février 1995, titre original Théologik II – Warheit Gottes, Johannes Verlag, 1985. Nous citerons plus loin cet ouvrage sous la référence « Théologique II ».

(2) Ibid p. 9

15 juillet 2007

Beauté

Qui peut dire la signification d’une symphonie de Mozart ? Et pourtant chaque note est pleine de sens nous rappelle Hans Urs von Balthasar. Plus l’œuvre est parfaite, plus aussi son contenu à interpréter est inépuisable.

Il conçoit alors la beauté comme le « rayonnement inexpliqué du foyer de l’être sur le plan extérieur de l’image ». Un rayonnement qui s’imprime sur l’image elle-même et « lui confère une unité, une plénitude et une profondeur représentant bien plus que ce que l’image en elle-même contient. Elle est généralement ce qui donne à la vérité le caractère permanent d’une grâce ». (1)

Cela fait résonner en moi ce que je me plais à affirmer sur le « je te reçois et je me donne à toi ». On reçoit infiniment plus que ce que l’on ne pourra jamais donner, parce que le don de l’autre n’est que la face visible du don de Dieu. L’autre est image d’un mystère plus grand, plus infini qui l’habite et le transcende.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.149-150

14 juillet 2007

La source

De son créateur, l’homme a reçu, pour sa route, « la grâce de participer à la fécondité inépuisable de sa source ». Il possède en soi une richesse qui ne s’épuise pas. Pour Hans Urs von Balthasar, il a toujours « une ouverture secrète, par où entrent à partir de l’éternel des provisions de sens constamment renouvelées. » En cela, il ne peut, selon le théologien, « s’enfermer dans le silence » (1). Il semble obligé de se plier à la loi qui se manifeste à lui. Cela ne l’empêche pas cependant de choisir de résister et de faire le tri, de passer au dessus, d’oublier. (2) Il me semble, pour reprendre l’image développée dans les billets précédents, qu’il s’enferme surtout dans cet aveuglement déjà décrié par Jésus. L’homme résiste à Dieu. C’est sa liberté, mais j’ajouterais aussi, c’est profondément humain. Et il nous faut trouver en nous, tous les moyens possibles pour désensabler la source. L’enjeu est de retrouver cette fraîcheur juvénile qui nous faisait voir Dieu dans l’irruption fragile de toute beauté.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.114-115
(2) cf. chez P. Ricœur, Le temps et l’oubli

13 juillet 2007

Iceberg

J’ai longuement développé dans « Chemins d’humanité, chemins vers Dieu » le concept de tours : cette carapace humaine qui s’enferme et se protège derrière ses certitudes et son savoir. Peut-être qu’il faut relever, au-delà de cette apparence, l’immense fragilité de l’être. C’est peut-être une manière d’excuser cette construction arrogante. Parce que l’homme est fragile, sensible, il ne résiste à l’agression du monde qu’à travers l’édification de ses propres défenses. Et cette apparence masque l’immense iceberg de l’être. On n’aura jamais fini de percevoir, au-delà des apparences, l’insondable et immense mystère de l’être humain.

12 juillet 2007

Illusions

Pour le théologien, « la pensée technique moderne croit être vraiment au fond d’un domaine entier de l’être ; elle estime l’avoir maîtrisé au point qu’il ne recèle plus aucun mystère » (1). Il me semble que cette toute-puissance humaine ne peut finalement être ébranlé que par l’interpellation de la toute-faiblesse. Car ce n’est pas lorsque l’homme est tout puissant qu’il s’ouvre à un ailleurs. C’est probablement lorsqu’il chute, qu’il se blesse, que peut se produire l’interpellation du kérygme.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.108

11 juillet 2007

Révélation

De la graine à la plante, de la plante à la fleur se dit le « message sans doute le plus éloquent de la nature muette » et « quand la forme parfaite en soi penche vers son déclin et, tout juste à ce moment, alors que nous pressentons la mort, elle nous surprend en livrant son fruit, auquel un double sens est lié : être consumé dans la terre en vue d’une nouvelle naissance, ou être consommé dans la bouche, pour la nourriture d’êtres plus élevés » (1) C’est pour Hans Urs von Balthasar le mystère de la vie. Cette vérité est dévoilement. Le vivant se dévoile simplement par sa vie en acte, « il ouvre son sens degré par degré, avec une clarté presque excessive ». Pour lui, ajoute-t-il plus loin, la vérité « se trouvera toujours infiniment plus riche et plus étendue que ce qu’on arrive à en percevoir ».

Je trouve là encore que l’analogie entre l’humain et le divin est porteuse de sens. Comme une hyperbole qui nous fait prendre conscience de cette double tension du don pascal : être consumé dans la terre pour renaître à la vie et être partagé comme nourriture pour les hommes…

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p. 91 et 93

10 juillet 2007

Désacralisation

Hans Urs von Balthasar s’insurge contre la perte chez l’homme de tout sens du mystère de l’être, le renoncement à l’admiration et à l’adoration. D’une certaine manière, ajoute-t-il « en accentuant si nettement la différence entre pensée profane et pensée sacralisée, comme le fait Bergson, on pose en absolu la faille qui les sépare et l’on ne veut plus aucun moyens d’y poser remède. On coupe définitivement en deux ce que Thomas d’Aquin regarde comme une unité indissoluble, c'est à dire l’unité de la fonction judicative de l’intellect et la fonction réceptrice. On arrache ainsi à la pensée rationnelle son caractère de mystère, on enlève à la pensée intuitive et compréhensible sa crédibilité, sa structure logique, en la condamnant à devenir marginale et irrationnelle ». Il conclut que pour lui « ce fut toujours une saine philosophie de ne voir, dans ces deux versants de l’être, aucune contradiction ni la moindre opposition ». (1)

Je ne sais si le problème réside actuellement dans la perte du sacré et de toute admiration. Il s’agit pour moi plutôt d’une vanité qui refuse de se considérer comme « dépendant » de tout être qui mettrait en danger l’individu dans sa toute-puissance. Il me semble que nous venons d’atteindre le sommet de la tour de Babel. Plus rien ne retient l’homme et le sacré n’a tout simplement plus sa place, sauf à l’heure des « trois failles », où, pour reprendre les termes du Cardinal Daniélou, il est touché dans sa chair (la naissance, l’amour et la mort). Alors s’ouvre une fenêtre sur la transcendance… Essayons de favoriser l’entrebâillement par une révélation qui puisse atteindre le cœur.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p. 88

09 juillet 2007

Ouverture et mysticisme

Le risque de cette réceptivité est peut-être de tomber dans le sensible, dans l’absolu des sens qui risquent de nous éloigner du réel, du temps et de l’instant. C’est pourquoi le théologien insiste pour dire qu’il n’y a pas d’autre connaissance de Dieu « que celle qu’on obtient par la médiation de la contingence du monde et il n’en existe pas d’autre capable de conduire à Dieu par une voie plus directe » (1) C’est peut-être l’erreur du bouddhisme, qui en nous retirant du réel pense trouver ailleurs ce qui n’existe que dans la communion… Le danger de tout mysticisme est là.

C’est pourquoi, Hans Urs von Balthasar insiste avec raison sur le fait que pour atteindre une quelconque ressemblance avec Dieu tout sujet doit être « premièrement arraché à lui-même et jeté vers le dehors. Il prend conscience de cette ressemblance divine exactement dans la mesure où il constate sa propre présence à l’autre, et donc quand il confesse sa réalité de créature » (2) J’ajouterais que cette réalité de créature ne peut être conçue en soi, sans la prise de conscience des « autres » créatures…

(1) et (2) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.53

08 juillet 2007

Ouverture et décentrement

Quelle peut être le sens d’un décentrement véritable. Peut-on paraphraser les termes de Balthasar et concevoir la réceptivité comme quelque chose qui peut faire de nous un « espace éclairé absolument vide » au point qu’il faille « que quelque chose y brille pour qu’on s’aperçoive du rayonnement lumineux » (1) Il me semble que pour en arriver à ce niveau de détachement, il faut percevoir combien nous ne sommes que peu de chose et que ce qui est en nous de bon nous vient d’ailleurs. Alors peut-on arriver à cette transparence qui fait rayonner la lumière qui en nous vient d’ailleurs. On rejoint alors ce que suggère plus loin Balthasar : « Le sujet qui s’ouvre à la vérité éprouve précisément à son contact, tout le contraire d’un sentiment de maîtrise dominatrice épuisant son objet. Il a plutôt l’impression paradoxale d’accomplir un progrès véritable dans la connaissance et le savoir (…) une extension de plus en plus large et infinie. » (2).

Ce qui compte alors, c’est peut-être de rester ouvert, les sens entièrement tournés vers la réceptivité de ce qui, venant d’ailleurs, nous donne d’être, de vivre et de désirer. Une ouverture à toute vérité possible qui devient « participation finie à la lumière infinie »

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.49

(2) Ibid p. 50-51

07 juillet 2007

Passivité

Je ne peux plus lire le mot passivité sans que résonne à mes oreilles l’expression lévinassienne de « passivité plus que passive » qui habite Autrement qu’être et au-delà de l’essence. Il ne me semble pas qu’Hans Urs von Balthasar s’éloigne de ce concept quand il considère que la passivité « permet de recevoir comme un don toujours plus enrichissant ce qui lui est offert par le Tu » (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.48

06 juillet 2007

Dévoilement - II

Pour Hans Urs von Balthasar, l’homme, en devenant apte à se mesurer lui-même, et après s’être « dévoilé à ses propres yeux » devient « sujet ». « En se dévoilant, il devient intérieurement lumineux, il s’éclaire lui-même et se rend transparent, c'est à dire que son être à la forme particulière de la conscience ». Sur ce point, le théologien ajoute que c’est en se reconnaissant comme homme « qu’il saisit du même coup ce qu’est l’être en général et en sa totalité » (1). Ainsi mesure-t-il non seulement son propre être mais aussi foncièrement tout être. On pourrait à ce stade basculé dans ce que dit Catherine de Sienne : « Dans la connaissance de toi-même tu deviendras humble, puisque tu y verras que tu n'es rien par toi-même et que ton être vient de moi puisque je vous ai aimés avant que vous n'ayez existé. » mais ce n’est pas le propos d’Hans Urs von Balthasar qui continue sa maïeutique à petits pas. (2) Et cependant, il se trahit dans l’affirmation suivante : « Pour être capable d’éprouver et de goûter toutes les richesses de l’être, il faut une sorte de pauvreté, une sensibilité pour ce qui est autre et conduit plus loin, une aptitude à écouter une révélation étrangère, une conviction d’être obligé de toujours apprendre, et d’en être capable » (1)

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, ibid, p.46-7

(2) Sainte Catherine de Sienne (1347-1380), tertiaire dominicaine, docteur de l'Église, co-patronne de l'Europe in Dialogues, ch. 4 (trad. Seuil 1953, p. 37 rev)

05 juillet 2007

Vérité - II

Pour le théologien, la seconde propriété de la vérité, après l’absence de repli sur soi (alêthéia) c’est 'emet' : on peut faire confiance, se reposer sur. Lié le dévoilement à la confiance, c’est introduire pour moi la condition de tout dévoilement. Il ne peut y avoir de vérité sans fiance et l’échange de la confiance, de la foi, est terreau de toute révélation. La fidélité, la constance, la solidité des rapports humains ne peut s’éprouver que dans le temps. Et le temps est ce qui donne à l’échange, son poids, sa mesure.

04 juillet 2007

Dévoilement - I

Pour Balthasar, le sens même de la vérité se définit comme un dévoilement, une mise à nue, une ouverture. En cela elle est absence de repli dans l’être (a-lêtheia) (1). Toute son analyse va porter sur ce dévoilement dans une tension entre la pudeur, l’intimité et la révélation. Ce qui me frappe c’est peut-être la puissance à ce niveau de l’analogie entre le dévoilement de l’homme et celui de la vérité divine. On touche à la puissance de l’image, même anthropocentrique dans l’expression de la théologie.

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, Culture et Vérité, Traduction Camille Dumont, s.j., Namur 1994, Théologik – Warheit des Welt, Johannes Verlag, 1985, p.37-8

03 juillet 2007

Travail de la grâce

Nous continuons notre cheminement à travers l’œuvre d’Hans Urs von Balthasar en abordant cette fois le troisième triptyque de sa trilogie : Theologik et en particulier son premier tome sur la Vérité du monde.

Pour lui, on découvre en effet, « dans le domaine naturel, une ampleur, une plénitude, une rareté qui permettent aussi d’apprécier pleinement le travail de la grâce : celle-ci, en effet a besoin de toute cette plénitude pour se déployer : elle la pénètre, l’informe, l’élève et la mène à son dernier achèvement. » (1). Cette malaxation de la glaise humaine, ce champ exécutoire du logos évoque pour moi ce qu’il disait plus haut, à la suite de Soloviev sur la kénose de l’Écriture. C’est dans le travail philosophique, dans la rumination de l’esprit que la théologie prend racine. Sans cela, ajoute-t-il, elle ne serait bâtie que sur « des concepts desséchés » ou se « bricolerait des bases »

(1) Hans Urs von Balthasar, La Théologique, I – Vérité du monde, Culture et Vérité, Traduction Camille Dumont, s.j., Namur 1994, Théologik – Warheit des Welt, Johannes Verlag, 1985, p. 12

02 juillet 2007

Sainte Catherine de Sienne - Décentrement

[Dieu a dit à sainte Catherine :] « Tu demandes à me connaître et à m'aimer, moi, la Vérité suprême. Voici la voie pour qui veut arriver à me connaître parfaitement et me goûter (…) ne sors jamais de la connaissance de toi-même et, abaissée que tu seras dans la vallée de l'humilité, c'est en toi-même que tu me connaîtras. C'est dans cette connaissance que tu puiseras tout ce qui te manque, tout ce qui t'est nécessaire. Nulle vertu n'a de vie en elle-même si elle ne la tire de la charité ; or l'humilité est la nourrice et la gouvernante de la charité.

Dans la connaissance de toi-même tu deviendras humble, puisque tu y verras que tu n'es rien par toi-même et que ton être vient de moi puisque je vous ai aimés avant que vous n'ayez existé.
» (1)

Il me semble que l’on touche là encore au source même de ce que j’appelle le décentrement, cette plongée au cœur de soi pour sortir de la toute puissance de soi, y trouver plus grand que soi et se centrer sur cet essentiel plus profond que toute ma profondeur…

(1) Sainte Catherine de Sienne (1347-1380), tertiaire dominicaine, docteur de l'Église, co-patronne de l'Europe in Dialogues, ch. 4 (trad. Seuil 1953, p. 37 rev), source : Evangile au Quotidien du 3 mars 2007