31 août 2016

Vivre en Christ - Bérulle et Charles de Condren

Les deux oratoriens Bérulle et Charles de Condren vont plus loin que Ruysbroeck et Eckhart sur le chemin de l'in Christo nous précise Balthasar. Leur démarche éloigne ainsi tout risque de dérive vers le platonisme. Leur contemplation est plus centrée sur la médiation du Christ(1) . Il en découle une vie "plus incorporée en Christ" (2) mais aussi un retour à la contemplation de Marie, qui avait introduit notre recherche. C'est dans la contemplation de son chemin intérieur face à Jésus enfant jusqu'à la Croix que nous pouvons saisir le rôle de la Vierge. 
 Elle est chemin parce qu'elle a traversé tout cela jusqu'à l'instant final. C'est le stabat mater qui est voie pour nous dans l'épreuve et fait d'elle une intermédiaire de poids sur nos chemins d'homme.



(1) GC7 p. 175‎.
(2) p. 176


Autorité de Jésus

En quoi est-elle différente de celle des Pharisiens et des scribes ? (1)
A la différence de ceux qui revendiquent un pouvoir qu'ils n'ont pas, celle du Christ repose sur le don du Père. Elle ne vient pas de lui, mais de sa contemplation et de sa prière, de son humilité (kénose) et de son obéissance. La est la différence. Elle se contemple jusque dans sa manière d'être et de mourir.


Résonances

"Un homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel". (Jn 3, 27)

On en perçoit le sens dans sa phrase à Pilate
‎"Tu n'aurais sur moi aucun pouvoir, s'il ne t'avait été donné d'en haut." (Jn 19, 11)

(1) cf Luc 4.

29 août 2016

Indifférence, élection et obéissance

La voie tracée par Ignace, qui doit éviter la tentation mystique, "comme une oeuvre, au sens stoïcien ou boudhiste" (...) en s'élevant, "en vertu d'une pseudo éthique, au dessus de l'humanité considérée comme illusoire, insignifiante ou dangereuse"‎ doit trouver, dans l'élection et l'obéissance à Dieu, un "chemin étroit et abrupt" (1).

Cette analyse est pertinente dans le contexte baroque dont "le point culminant est dans la glorification de l'Etat, paré du scintillement religieux du Baroque ecclésial"(2)‎. Elle l'est aussi dans notre environnement actuel. A ceux qui se laissent tenter par un communautarisme étriqué, le discernement ignatien ouvre les portes vers le monde et sa "périphérie". Le monde n'est pas à abandonner. 
L'élection vise cette oeuvre ouverte habitée par les trois paraboles de Luc 15 (brebis perdue, fils prodigue,..). En cette année de la miséricorde, le pape nous le rappelle avec une acuité nouvelle.

Mais l'élection elle même peut devenir lieu de chute. L'oebéissance devient alors, chez Ignace, l'ultime garde-fou, celui qui nous fait échapper à la tentation de faire de notre élection un nouveau lieu de pouvoir et d'autorité. La force du catholicisme est de tout ordonner sous une hiérarchie qui, non-obstant son poids et ses abus humains, à le mérite de conduire l'homme au-delà de lui-même, dans une diaconie véritable.

Il y a là, d'ailleurs, un chemin de contemplation que nous n'avons pas esquissé encore dans ces pages. Ignace parle d'abord de l'obéissance à Dieu, qui "purifie notre intelligence, notre volonté et notre sentiments(3)", mais ses voies ne prennent pas seulement le chemin de la Parole. L'Église est aussi un lieu d'exercice de l'obéissance divine.

Chose inouïe aujourd'hui à l'ère du tout est permis, il faut reconnaître à la communion vivante des Apôtres un pouvoir qui ne peut qu'être structurant pour l'homme. 
Cela n'empêche pas un liberté intérieure, mais cela impose une exigence, celle d'éclairer sa conscience, de toujours vérifier qu'elle ne succombe pas à l'illusion solitaire du pouvoir et du valoir. La direction spirituelle obéissante aux "surveillants" épiscopaux ou autres, est lieu de discernement et de croissance. 
Obéir "c'est avoir l'avant denier mot", disait mon évêque. J'aime l'expression qui sous-entend un dialogue. Une Église fermée au dialogue est fermée à l'Esprit mais le libre-penseur ne doit pas cesser d'écouter. Il y a la une tension (encore une) qu'il convient de maintenir.


(1) GC7 p. 168
(2) p. 166.
(3) p. 170


28 août 2016

Course ignatienne

De l'indifférence à l'élection, c'est finalement devenir transparent ‎à la Personne qui envoie, être "représentant de Dieu", dans l'apostolat (cf. à ce sujet les propos déjà rapportés de Madeleine Delbrêl), pour la (seule) et plus grande gloire de Dieu.

"C'est à Son service que l'existence voudrait se consumer dans l'ardeur de son amour" (...). Cette vocation conduit à un "dynamisme" qui fait que "la grâce et la mission de Dieu n'a rien d'incroyable et d'impossible" (1).

On retrouve dans les propos de Balthasar sur Ignace, cette impression de course déjà notée chez Paul et Grég‎oire de Nysse.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC7 p. 163-4

27 août 2016

Les joies terrestres - Sainte Monique

"Je suis comblée sur ce point, puisque je vois que tu es son serviteur au point de mépriser les joies terrestres. Qu'est-ce que je fais ici? " disait sainte Monique à son fils Augustin...

Cette phrase entre en résonance avec l'homélie de mon curé hier. Les huiles des vierges folles (Mat 25, 1-13) sont d'essence terrestre, alors que les autres s'occupent de la rencontre ultime.  Il ne faut pas en conclure que le monde est à ignorer,  mais percevoir que notre vie n'a de sens qu'orienté vers le rendez-vous final. 

Être serviteur de l'invisible,  c'est se tourner vers l'essentiel. 

Où est l'essentiel ? La confrontation entre Marthe et Marie mérite d'être contemplée dans sa tension féconde. 

"Marie a choisi la meilleure part" (Luc 10, 42), mais Marthe a compris l'essentiel (cf. Jn 11).

L'essentiel nous dit Francois peut être à la "périphérie".  C'est à l'amour que nous serons jugés dignes d'entrer dans la danse.

Versé pour la multitude


De Marc 14 et Jn 19 à  Saint Colomban, la contemplation de la source jaillissant du coeur du Christ nous conduit toujours plus loin. 

Relisons les 3 textes, à la lumière des paroles de Jésus à la Samaritaine (Jn 4) :

Marc 14:23-24 BCC1923

Il prit ensuite la coupe, et, ayant rendu grâces, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, répandu pour la multitude.

Jean 19:33-34 BCC1923

Mais quand ils vinrent à Jésus, le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes; mais un des soldats lui transperça le côté avec sa lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l'eau.


"Frères, suivons notre vocation : à la source de la vie nous sommes appelés par la vie cette source est non seulement source de l'eau vive, mais de la vie éternelle, source de lumière et de clarté. D'elle en effet viennent toutes choses: sagesse, vie et lumière éternelle. L'auteur de la vie est la source de la vie, le créateur de la lumière est la source de la clarté. Aussi, sans regard pour les réalités visibles, cherchons par-delà le monde présent, au plus haut des cieux, la source de l'eau vive, comme des poissons intelligents et bien perspicaces. Là nous pourrons boire l'eau vive qui jaillit pour la vie éternelle

Veuille me faire parvenir jusqu'à cette source, Dieu de miséricorde, Seigneur de bonté, et que là je puisse boire, moi aussi, avec ceux qui ont soif de toi, au courant vivant de la source vive de l'eau vive. Qu'alors, comblé de bonheur par cette grande fraîcheur, je me surpasse et demeure toujours près d'elle, en disant : « Qu'elle est bonne, la source de l'eau vive; elle ne manque jamais de l'eau qui jaillit pour la vie éternelle ! »

O Seigneur, tu es, toi, cette source qui est toujours et toujours à désirer, et à laquelle il nous est toujours permis et toujours nécessaire de puiser. Donne-nous toujours, Seigneur Jésus, cette eau, pour qu'en nous aussi elle devienne sourced'eau qui jaillit pour la vie éternelle. C'est vrai : je te demande beaucoup, qui le nierait ? Mais toi, Roi de gloire, tu sais donner de grandes choses, et tu les as promises. Rien de plus grand que toi, et c'est toi-même que tu nous donnes ; c'est toi qui t'es donné pour nous.

Aussi est-ce toi que nous demandons, afin de connaître ce que nous aimons, car nous ne désirons rien recevoir d'autre que toi. Tu es notre tout : notre vie, notre lumière et notre salut, notre nourriture et notre boisson, notre Dieu. Inspire nos cœurs, je t'en prie, ô notre Jésus, par le souffle de ton Esprit, blesse nos âmes de ton amour, afin que chacun de nous puisse dire en vérité : Montre-moi celui que mon cœur aime, car j'ai été blessé de ton amour.

Je souhaite que ces blessures soient en moi, Seigneur. Heureuse l'âme que l'amour blesse de la sorte : celle qui recherche la source, celle qui boit et qui pourtant ne cesse d'avoir toujours soif tout en buvant, ni de toujours puiser par son désir, ni de toujours boire dans sa soif. C'est ainsi que toujours elle cherche en aimant, car elle trouve la guérison dans sa blessure. De cette blessure salutaire, que Jésus Christ, notre Dieu et notre Seigneur, bon médecin de notre salut, veuille nous blesser jusqu'au fond de l'âme. À lui, comme au Père et à l'Esprit Saint, appartient l'unité pour les siècles des siècles. Amen" (1)

(1) Saint Colomban, Le Christ, source de vie, souce AELF

26 août 2016

De l'indifférence à l'élection - Ignace de Loyola

Dans la ligne de GC7, après toutes les pages consacrées à l'indifférence et au décentrement dans le Moyen-âge tardif, Balthasar souligne combien la particularité d'Ignace est de placer celles ci au début de ses exercices. La deuxième semaine peut alors s'axer sur l'élection, "ce que Notre Seigneur  nous aura donné de choisir", (Ex. 135) c'est à dire "ce choix particulier accompli spontanément et volontairement dans la liberté éternelle de Dieu" (1)

‎(1) GC7 p. 160

25 août 2016

Indifférence ignatienne

On n'est pas surpris de trouver, après Catherine de Gênes, une belle présentation d'Ignace de Loyola et de son indifférence, clé d'une démarche intérieure, qui commence par placer l'homme dans "l'enfer de la connaissance de soi-même", déblayage préparatoire, qui place l'homme "devant la Croix en lui enlevant la conscience de tout ce qu'il a de bon en lui", avant de lui faire contempler la vie de Jésus.

On rejoint là, ce que j'ai tenté de développer plus maladroitement dans "le chemin du désert", ce qui me conforte dans cette approche comme préparation à la "disponibilité foncière à tout" visée par Ignace (1).

(1) cf. GC7 p. 160-1

La circoncision du coeur

Il existe une correspondance subtile entre Jr 4, 1-4 et Rom 2, 29, c'est celle qui conduit l'homme à quitter sa tour d'orgueil pour s'exposer à la lumière divine(1). 

Relisons les deux textes :

Romains 2:27-29 BCC1923

Bien plus, l'homme incirconcis de naissance, s'il observe la Loi, te jugera, toi qui, avec la lettre de la Loi et la circoncision, transgresses la Loi. Le vrai Juif, ce n'est pas celui qui l'est au dehors, et la vraie circoncision, ce n'est pas celle qui paraît dans la chair. Mais le Juif, c'est celui qui l'est intérieurement, et la circoncision, c'est celle du cœur, dans l'esprit, et non dans la lettre: ce Juif aura sa louange, non des hommes, mais de Dieu.

Jérémie 4:1-4 BCC1923

Si tu veux revenir Israël, - oracle de Yahweh, reviens vers moi. Et si tu ôtes tes abominations de devant moi, tu ne seras plus errant! Et si tu jures "Yahweh est vivant!" avec vérité, avec droiture et avec justice, les nations se diront bénies en lui; et se glorifieront en lui. Car ainsi parle Yahweh aux hommes de Juda et de Jérusalem: Défrichez vos jachères, et ne semez pas dans les épines. Circoncisez-vous pour Yahweh, et enlevez les prépuces de votre cœur, hommes de Juda et habitants de Jérusalem, de peur que ma colère n'éclate comme un feu et ne consume, sans que personne éteigne, à cause de la méchanceté de vos actions.

N'est ce pas le chemin d'Exode 33 et de Gn 2, 25, quittez son vêtement pour se retrouver nu devant l'Autre ? A contempler...

(1) intéressante interprétation d'Annick de Souzenelle sur ce thème

24 août 2016

Consumée en Dieu - Catherine de Gênes

Creuser son désir de Dieu, faire en soi toute la place pour se laisser envahir...
C'est un peu ce que dit Catherine de Gênes qui cherche à se "laisser consumer de l'extérieur et de l'intérieur par la puissance et la bonté de Dieu" (1) jusqu'à ce que la créature soit ramenée "à cet être divin dont elle procède, c'est à dire cette pureté dans laquelle il l'a créée"(2).

On peut rejoindre là une lecture spirituelle de Gn 2, 24, où l'être créé quitte sa corporéité d'origine pour faire une seule chair en Christ, dans cet élan de la dynamique sacramentelle que j'ai longtemps développé. Il y a par exemple dans la nourriture eucharistique, cette dimension même de manger la chair pour ne faire qu'une seule chair, illustration même de cette nouvelle naissance évoquée par le Christ à Nicodème en Jn 3.
Un ami dit ainsi que la communion est pour lui extatique. Elle est en tout cas, participation fortuite et éphémère à cette danse trinitaire à laquelle nous sommes invités.

Chez Catherine de Gênes,‎ cette vision la conduit à une tension dialectique qui la pousse à se "jeter dans le feu purificateur" (3), exprimant l'aspect dévorant de l'amour. Pour Balthasar, cette alternance entre mérite et indignité, proche de maître Eckhart et caractéristique du Moyen-âge tardif, rejoint le justus et peccator de Luther. (4).

‎En cette année de la miséricorde, on réduira probablement cette dernière tension à l'aune de ce que peut écrire sainte Catherine de Sienne : Dieu est plus miséricordieux que notre péché...

(1) Sainte Catherine de Gênes, Vita 9, cité en GC7 p. 158
(2) Vita 14.
(3) et (4) GC7 p. 159

Caisse de résonance de l'Esprit Saint - Catherine de Sienne

Pour Balthasar, la voix de  ‎Catherine de Sienne, en se faisant l'écho de la parole biblique, est une "caisse de résonance de l'Esprit Saint et de l'âme ecclésiale" où l'Évangile est perçue comme "la profondeur de l'Être infini lui-même" (1). Pour elle, qui parvient au véritable décentrement, "l'âme ne se plaint pas, parce que sa volonté n'est plus sienne" (...) "elle désire ardemment correspondre à ce que Dieu réclame et attend; ce à quoi tend le désir (...) la manifestation de la gloire de Dieu dans son oeuvre de salut". (2)

Chez Catherine, on trouve aussi une phrase qui fait écho à notre thème de l'année : "Ma miséricorde est incomparablement plus grande que tout les péchés que peuvent commettre toutes les créatures ensemble" (3). Le Christ est ainsi pour elle un "pont"* entre le ciel et la terre qui nous a conféré le pouvoir d'aimer (4)‎.

Enfin, Balthasar souligne l'attachement de Catherine à l'image du Sang du Christ, qui coule par sa plaie ouverte, source infinie d'amour de celui qui s'est donné pour nous...


(1) Cité par Hans Urs von Balthasar, GC7 p. 153.
(2) p. 154
(3) Dialogue, 132
(4) Dialogue de Sainte Catherine de Sienne, 136, cité p. 155

* Image qui rejoint "le dernier pont", un petit travail de recherche repris dans "sur les pas de Jean".


23 août 2016

Dynamisme esthétique et mystique - Saint Augustin

‎La lecture de Balthasar en GC2 (1) nous conduit jusqu'à "la contemplation passive de laquelle l'esprit éprouve des sentiments esthétiques" (...) dont Augustin trouve "un caractère dynamique" (...) "qui tend à une unité jamais accessible". (2)

Qu'est-ce qui est visé, si ce n'est la vraie lumière, la plus simple de toutes, vérité et beauté originelle, harmonie divine supra-sensible, idéal transcendantal, que l'on ne peut que deviner, force au-delà de tout et tendant vers l'ultime accomplissement ?

Cette vision qualifiée par Balthasar de stoïcienne, suppose, "à l'arrière plan, l'âme du monde, à la fois corporelle et spirituelle, pensée d'une manière panthéistique" (3).

Ce n'est rien d'autre que "le grand thème oriental, de Plotin à Grégoire de Nysse, d'Evagre à Syméon" (4) qu'on retrouve probablement dans la contemplation teilhardienne du Logos.

Mais dans cet arrière plan, nous retrouvons ici notre quête, cette dynamique sacramentelle toute tendue vers la "danse trinitaire"(5), cette "âme qui s'unifie‎ en tendant à l'unité de Dieu, reçoit de Dieu son unité" (...),"‎mélodie intérieure"(6), "beauté au dessus de toute beauté"(7), "beauté ineffable"(8), unique et véritable.(9).

Et pourtant, poursuit le théologien, cette beauté reste voilée, soulignant sa différence avec la beauté corporelle. La beauté du Christ louée par le Psaume 44 est en tension avec ce que dit Isaïe 53(10). Entre les deux, se résument les limites d'une esthétique ‎apparente. Derrière le Christ défiguré se cache le Christ transfiguré. Derrière la kénose se cache la Gloire du relèvement, derrière la souffrance se cache l'amour infini de Dieu, au point que des ombres actuelles, la beauté ne sera visible totalement que dans sa révélation eschatologique (p. 124).

L'homme semble à la fois loin de tout cela et pour autant invité à cette danse. S'il ne peut en percevoir l'étendue, il lui est donné parfois d'entendre cette musique intérieure qui le conduit à avancer, à y tendre, en toute liberté. Cette nuance, qui distingue Augustin de Plotin, est profondément chrétienne, c'est l'histoire de la pédagogie divine.

(1) ibid p. 116
(2) VR 60-61, LA 2, 22
(3) GC2, p. 117
(4) ibid p. 118
(5) cf. notre travail éponyme, repris dans L'Amphore et le fleuve
(6) Confessions 4, 15, 27
(7) Confessions 3, 6, 10
(8) Cité de Dieu 9, c. 22
(9) S. 1, 14.... in GC2, p. 119
(10) GC2 p. 121-123




22 août 2016

Kénose et souffrance - Saint Augustin

La kénose du Christ lui apparaît, souligne Balthasar (1) comme la révélation de la beauté et de la plénitude de Dieu. Pour Augustin, "le chemin lui-même est beauté" (2).
Il nous faut pour cela prendre de la distance, contempler l'ensemble de la pédagogie divine, comme une mosaïque, vue toute entière, à la lumière de Dieu, "grâce à qui l'univers, même avec ses éléments fâcheux, est parfait lui-même" (3).

On a bien sûr du mal, à l'échelle humaine, à rentrer dans cette contemplation après les drames qui vont de la Croix à Auschwitz. Il faut prendre un sacré recul pour accepter ce mal qui défigure la création(4). Pourtant, à la suite de Job, nous devons entendre l'imprécation de Dieu. Qui es-tu pour saisir le plan de Dieu ? C'est au bout du chemin que nous percevrons le bienfait de l'apparente absence divine, quand la victoire du Crucifié rayonnera sur le monde.
En attendant, il nous faut, comme le suggère E. Hillesum, retrousser nos manches : "Dieu a besoin de nos mains". "Heureuse faute qui nous a valu un tel sauveur".

(1) Hans Urs von Balthasar, La Gloire et la Croix, tome 2 styles, d'Irenée à Dante,Cerf, DDB, 1993, (ci-après GC2), p. 110
(2) Augustin d'Hippone, De Libera Arbtitrio, 2, 45, cité ibid.
(3) Soliloquia, 1, 2, cité ibid. p. 114.
(4) cf. sur ce point mon travail de recherche : "Où es-tu, mon Dieu ?".

21 août 2016

Contemplation au désert -Saint Bernard

Le chemin du désert* nous a conduit,  depuis l'ancien Testament jusqu'au Nouveau sur les pas du Christ et son imitation.  Sur ce chemin,  nous nous sentons petits et la dynamique contemplative qui suit reste celle qui nous sépare de lui. Elle est à la fois invitation et humilité.  Il y a tension entre notre réalité et celle de Dieu.  Cette tension est ce qui sépare l'idole et l'icône,  l'image et la ressemblance,  le corps et l'esprit.  Cette tension n'est pas pour autant dualiste mais kénotique.  

Notre chemin est d'entrer dans la course divine, une course infinie sur laquelle nous retrouvons Grégoire de Nysse,  Augustin et les pères de l'Église,  derrière Paul ( Ph.  3).Cette voie est aussi celle de l'humilité et du désir.  Humilité car nous ne parviendrons jamais sans lui à la ressemblance ("Impossible à l'homme,  mais possible grâce à Dieu"), désir car c'est la soif intérieure que fait naître en nous la soif de Dieu. 

Mon âme à soif de toi... (Ps...)
Mon époux est là... (Cant...)

"Reviens, Verbe de Dieu, qui nous visites comme en passant.
Inconsolable en ton absence,notre cœur te réclame.
Par ton départ, tu l'éprouveset tu avives son désir
de connaître à nouveau la rencontre.

R/Reviens à nous, Seigneur, toi, notre bien-aimé.
Ta venue nous échappe toujours,chaque fois ton départ nous surprend,
mais le goût reste en nous de ton passage.
D'où venais-tu, où allais-tu, nous l'ignorons, 
mais la mémoire demeure en nous
d'un grand bonheur furtif et redoutable.
Très au-delà des sens et du savoir, 
en grand secret tu nous visites : 
pour un instant nous touchons l'infini.
Nous n'avons pu te voir ni te saisir ; 
par où es-tu passé ? 
Nous ne savons, 
mais notre cœur reste blessé d'amour." (1)

Le chemin du désert est celui de l'épouse vers l'Époux, il est celui de l'amour.
"L'amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L'amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d'être ni son fruit : son fruit, c'est l'amour même. J'aime parce que j'aime. J'aime pour aimer. Quelle grande chose que l'amour, si du moins il remonte à son principe, s'il retourne à son origine, s'il reflue vers sa source pour y puiser un continuel jaillissement ! De tous les mouvements de l'âme, de ses sentiments et de ses affections, l'amour est le seul qui permette à la créature de répondre à son Créateur, sinon d'égal à égal, du moins dans une réciprocité de ressemblance. Car, lorsque Dieu aime, il ne veut rien d'autre que d'être aimé. Il n'aime que pour qu'on l'aime, sachant que ceux qui l'aimeront trouveront dans cet amour même la plénitude de la joie. L'amour de l'Époux, ou plutôt l'amour qu'est l'Époux, n'attend qu'un amour réciproque et la fidélité. Qu'il soit donc permis à celle qu'il chérit de l'aimer en retour. Comment l'épouse pourrait-elle ne pas aimer, elle qui est l'épouse de l'Amour ? Comment l'Amour ne serait-il pas aimé ?Elle a donc raison de renoncer à tous ses autres mouvements intérieurs, pour s'adonner seulement et tout entière à l'amour, puisqu'elle a la possibilité de répondre à l'amour même par un amour de réciprocité. Car elle pourra bien se répandre tout entière dans son amour, que grâce au regard du flot éternel d'amour qui jaillit de la source même ? Les eaux ne sourdent pas avec la même profusion de celle qui aime et de l'Amour, de l'âme et du Verbe, de l'épouse et de l'Époux, du Créateur et de la créature: la différence n'est pas moins grande qu'entre l'être assoiffé et la source. Alors quoi ? Faudra-t-il pour autant que périsse et disparaisse complètement chez l'épouse le souhait de voir s'accomplir ses noces ? Le désir qu'expriment ses soupirs, la force de son amour, son attente pleine de confiance ; seront-ils réduits à rien, parce qu'elle ne peut égaler à la course un géant, et qu'elle ne peut rivaliser de douceur avec le miel, de tendresse avec l'agneau, de blancheur avec le lis, de rayonnement avec le soleil, d'amour avec celui qui est l'amour en personne ? Non, car même si la créature aime moins, en raison de ses limites, pourvu qu'elle aime de tout son être, il ne manque rien à son amour, puisqu'il constitue un tout. C'est pourquoi aimer de la sorte équivaut à un mariage, car une affection si forte ne saurait recevoir une réponse de moindre affection, dans cet accord réciproque des deux époux qui fait la solidité et la perfection du mariage. À moins qu'on ne mette en doute que l'amour du Verbe précède et dépasse celui de l'épouse. (2)

(1) Hymne, office des lectures, saint Bernard,  bréviaire. source AELF
(2) Saint Bernard,  Homélie sur le Cantique des Cantiques,  ibid.

* Cf.  notre livre éponyme sur Amazon.fr

20 août 2016

Islam - loin de l'amalgame - Chrstian de Chergé

Dans une actualité portée par la peur et la radicalisation, il nous faut prendre le temps et la distance nécessaire pour ne pas oublier le message de ceux qui ont signé de leur sang le message d'un Dieu qui n'est qu'amour.

"Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. 
Je sais aussi les caricatures de l'islam qu'encourage un certain islamisme.
Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes.
L'Algérie pour moi, c'est autre chose,  c'est un corps et une âme. (...) ma mort pourra donner raison à ceux qui me traitent de naïf ou d'idéaliste (...) je pourrai s'il plaît à Dieu, contempler avec Lui ses enfants de l'Islam tels qu'ils les voient, tout illuminés de la gloire du Christ,  fruits de sa Passion,  investis par le don de l'Esprit dont la joie secrète sera toujours d'établir la communion et de rétablir la ressemblance,  en jouant avec les différences". (1)

Sa contemplation prend d'autant plus de sens dans ses derniers mots qui rejoignent ceux du Christ en croix.

"Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'auras pas su ce que tu faisais.  Oui, pour toi aussi je le veux ce MERCI, et cet "A-DIEU" envisagé de toi. Et qu'il nous soit donné de nous retrouver,  larrons heureux, en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous deux. Amen !" (2)

(1) Christian de Chergé,  Thibihrine, 1er janvier 1994
(2) ibid.

19 août 2016

Amour et espérance

"Le plus haut degré est atteint lorsque « la Loi habite au milieu de notre cœur » (Ps 39,11)" (1). La méditation des textes du jour nous conduise à une lecture spirituelle du texte d'Ézéchiel 37.

Et si les ossements desséchés étaient nos corps fermés au souffle de l'Esprit.  Nous serions des coeurs de pierre (Ez. 36), envahis par la violence,  la peur, les tentations de rejeter ceux qui sont différents,  au nom d'une soi-disant supériorité culturelle qui masque nos propres violences. 

Laissons nous relever par le souffle ténu de l'amour.  Il dort en nous depuis le baptême(2),  faute de trouver chez nous la bonne terre, celle d'un coeur de chair, un coeur pour aimer.

Seul l'amour de l'étranger ouvrira nos coeurs à la vie.

C'est l'unique double commandement du Seigneur. (Cf. Mat 22)

(1) Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, L'Histoire et l'esprit du Carmel (trad. Source cachée, Cerf 1999, p. 221)
(2) Diadoque de Photicé, cf. tag sur ce père de L'Église.

18 août 2016

Mais qui donc est Dieu ? - CR de lecture

"Mais qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi fils de la terre (1)" est une contemplation de la pédagogie de Dieu vers l'homme.

L'intérêt majeur de l'apport de Francis Barbey réside dans la mise en perspective de deux histoires de civilisation (les Kroumen à l'est de la Côte d'Ivoire  et l'histoire juive).
En ouvrant et élargissant la recherche dans une démarche inductive, l'auteur rappellent ces couches successives dont parle Paul Beauchamp dans la constitution de l'Ancien Testament, comme autant de relectures personnelles et collectives, récits qui creusent et préparent la révélation christique ultime‎.

Sa lecture ouvre des horizons, élargit la quête de Dieu à l'univers et nous ouvre à une "messe sur le toit du monde" au sens theilhardien.

L'enjeu est là : comprendre que l'histoire des quêtes humaines est notre histoire, que l'on ne peut conduire l'homme vers des certitudes toutes faites, mais être, à l'image du Christ sur le chemin d'Emmaüs, des passeurs de sens, qui marchent à côté de l'homme vers cet "a-venir" qu'il évoque.

Retenons aussi la belle image du "ventre de Dieu" (p. 86), qui évoque à la fois les entrailles divines d'Osée 11 que le "en-christo" paulinien.

(1) Père Francis Barbey, Mais qui donc est Dieu pour nous aimer ainsi fils de la terre ?, Editions Paulines, 2016.

17 août 2016

Le bon pasteur

Plus que l'idée de l'ouvrier de la dernière heure qui nous font rêver dans nos élans de liberté, c'est la figure du Père qui pouvoit des pasteurs et des ouvriers pour sa vigne que nous sommes appelé à contempler aujourd'hui. 
Donnes nous Seigneur des hommes qui ne servent pas leurs intérêts mais le royaume....

" Tous ceux qui, à une foi droite, ont joint les bonnes œuvres ont été les ouvriers de cette vigne." (1)

Donne nous d'avancer sur tes chemins d'humilité.

(1) Saint Grégoire le Grand,  Homélies sur l'Évangile, n°19 (trad. Le Barroux).

06 août 2016

Ode à l'agir pour l'amour

La tentation serait de se contenter de reposer en Dieu de se remettre à son agir seul. Notre agir ne doit pas pour autant viser une utilité première, mais plutôt l'amour. Notre agir doit viser la véritable gratuité : celle qui perçoit que nous ne sommes que les "mains de Dieu".
"Le Christ a vécu sa vie non en vue d'une récompense, mais par amour" (1)

(1) Anonyme de Francfort, cité par Hans Urs von Balthasar GC7 p. 134

05 août 2016

Pierre


A contempler à l'aune des grands discours sur l'Eglise.
Un chemin d'humilité et de miséricorde...

"Il a fallu que Pierre, lui à qui l'Église devait être confiée, la colonne des Églises (Ga 2,9), le port de la foi, celui qui allait enseigner le monde entier, se montre faible et pécheur. Oui, vraiment, c'était pour qu'il puisse trouver dans sa faiblesse une raison d'exercer sa bonté envers les autres." (1)

(1) Saint Jean Chrysostome, ‎Homélie sur saint Pierre et saint Élie, 1 ; PG 50, 727 ‎

04 août 2016

Humilité de Dieu - Angèle de Foligno

A contempler :

L'éternelle "humilité de Dieu" rayonne avec une irrécusable clarté dans "l'humilité du Christ", dans sa pauvreté (...) sa douleur infinie "multiple, inexprimable et cachée" sur la Croix (...) douleur intolérable et continuelle" (...) " sans adoucissement"(1)

Angèle de Foligno, cité par Hans Urs von Balthasar, Gc7 p. 146‎-7

03 août 2016

Se laisser manger...

Dure condition humaine que de sentir Dieu nous échapper alors qu'on croit le saisir. Le chemin du désert, c'est aussi connaître Son silence qui creuse en nous le désir.

"Entrer dans le travail intérieur (1) qui consiste à laisser agir Dieu, ce travail qui, par-delà l'action et la passion, les embrasse toutes deux. Cette oeuvre correspond à la vie eucharistique de Jésus : manger Dieu et être mangé par Dieu, avoir comme nourriture la volonté divine et être soi même une nourriture pour Dieu (2)".

Plus encore, il nous faut aussi renoncer à l'idée d'imiter la souffrance du Christ, prendre conscience de la distance qui nous sépare de lui et nous placer en "un grand cercle" avec le Crucifié au centre, sans prétendre atteindre celui qui révèle l'amour le plus fort et le plus caché, dans une "insondable et mystérieuse nuit" jusqu'à sentir que la sagesse divine " se révèle parfaitement "dans la folie et la faiblesse de la Croix" et dans les "mystères de l'abandon souffrant et sacrifié"  (3).

Notre désert n'est en effet qu'un avant goût de la déréliction...


(1) Jean Tauler, Predigten 54 II 49
(2) 60c II 98-99, cité par Balthasar, GC7, p. 129
(3) GC7, p. 130, citant Henri Suso.


Un roman pour l'été - D'une perle à l'autre

Vient de paraître, la nouvelle version intégrale de ma saga à fort contenu théologique "D'une perle à l'autre". Un roman qui part de la vallée d'Avre en 1944 et explore la question de l'amour, du pardon, de l'Eglise, du respect de la personne et de la souffrance...

D'une perle à l'autre reprend en un tome les romans et nouvelles parues sous les titres de :
- Le pont des planches,
- Le cheval d'écume
- La perle
- Le vieil homme et la perle
- Le désir brisé
- La caresse de l'ange
- La danse des anges
- In Utero
et donne en bonus, "Le fruit du silence"...
Près de 700 pages pour occuper votre été...

Si vous préférez en petit morceau, chaque titre est sous Kindle...

02 août 2016

Dieu dans nos mains

"C'est dans notre activité que Dieu agit"(1). C'est dans notre silence que Dieu fait entendre son appel et nous invite à replonger dans notre origine. (..) quand l'homme se met en quête de Dieu, il y a bien longtemps que Dieu est en quête de lui. (2)

En lisant ces extraits de Jean Tauler, je repense à l'homélie entendue dimanche. Le jeune prêtre qui s'exprimait nous parlait d'un Dieu sans changement. Quel est le fondement scripturaire de son affirmation ? On y sent plutôt l'influence d'une doctrine grecque, probablement aristotélicienne ou néo thomiste. Elle a ses mérites mais conduit pour moi à un désert pastoral, car elle annonce un Dieu froid et juge, loin de la kénose intratrininitaire, de la circumincession des personnes divines et surtout de ce qui est probablement à ses yeux un anthropomorphisme : un‎ père qui se penche vers l'homme, un Christ serviteur, un esprit qui s'enfouit dans l'humanité pour le rejoindre et l'habiter.
Que Dieu soit éternel, fidèle et bon et son amour infini oui. Mais que l'amour divin soit sans changement, sans compassion ou sans miséricorde, j'ai du mal...

(1) Jean Tauler, Predigten n. 43 I 191
(2) n. 53 II 43, cité par Hans Urs von Balthasar, GC7 p. 127

01 août 2016

La surprise divine - 2


Écoutons à la suite de Spadaro,  saint Ignace sur ce thème.  Il nous faut considérer "Dieu présent dans toutes les créatures.  Il est dans les éléments (...) les plantes (...) les animaux (...), dans les hommes (...) Il est en moi-même de ces différentes manières,  me donnant tout à la fois l'être,  la vie, le sentiment et l'intelligence.  Il a fait plus : il a fait de moi son temple ; et dans cette vue, il m'a créé à la ressemblance et à l'image de sa divine Majesté" (Exercice spirituel,  235).
Chercher Dieu en toutes choses, completerai-je ne consiste pas temps à le croire en moi, qu'à le percevoir dans ce frère que je n'arrive pas à aimer. Alors, sa présence chez lui, comme reçue sacramentellement en moi, me fait tendre à l'inoui de Dieu,  cette irruption surprenante du bien en moi et en lui qui dépasse nos différences pour tracer un chemin d'unité. 

C'est là une vision dynamique,  en mouvement(2),  qui "parie sur la fertilité de la semence,  en triomphant de la tentation de hâter" (3) et nous appelle à protéger le bon grain en laissant aux anges la moisson de l'ivraie" (4).

(1) cité par Spadaro,  op. Cit p. 113
(2) p. 114
(3) p. 115
(4) Jorge Maria Bergoglio,  Disciplina e passione. Le sfide di oggi per chi deve educare, Milan, Bompiani, 2013, p. 42

31 juillet 2016

Dieu, l'éternelle surprise

Trouver Dieu dans l'aujourd'hui demande une attitude contemplative. Car trouver Dieu en toutes choses n'est pas "un eurêka empirique" (1), mais contempler Dieu comme premier, toujours premier,  "Un Dieu qui nous précède" (2), un Dieu qui se rencontre en marchant, non dans un relativisme indistinct, mais "comme une surprise.  On ne sais jamais où ni comment on le trouve, on ne peut pas fixer le temps ou les lieux où on Le rencontre (3).

Dieu est dans chaque homme. Il n'est pas dans une doctrine ou une contrainte, mais se révèle dans l'irruption du bien. "Même si la vie d'une personne est un terrain plein d'épines et de mauvaises herbes, c'est toujours un espace dans lequel la bonne graine peut pousser" (4). Tel est notre espérance,  celle d'un Dieu qui se révèle par surprise dans "Le bruit d'un fin silence" (1 R 19) dont nous avons montré qu'il pouvait être le cri de l'homme comme le chant des anges (5).

(1) Le pape François,  L'Église que j'espère,  entretien avec A. Spadaro, p. 107
(2) ibid. p. 108
(3) et (4) p. 109
(5) Cf. Humilité et miséricorde,  tome 1 p.109ss

30 juillet 2016

Un amour qui élargit


Comme le souligne bien Ronald D.  Whitherup (1),  l'appel de Paul à l'imiter peut paraître surprenant voir orgueilleux si ce dernier n'était ampli d'humilité et si surtout sa vie visait l'imitation du Christ (cf. notamment Ph. 3). Et en même temps, la contemplation de ses lettres poussent à entrer dans un amour plus large.

Saint Jean Chrysostome nous le fait remarquer avec justesse dans son commentaire de 2 Corinthiens : "Notre cœur s'est dilaté.De même que la chaleur produit un épanouissement, la charité a pour effet de dilater, car c'est une vertu chaude et ardente. C'est elle qui ouvrait la bouche de Paul et dilatait son cœur. « Je ne vous aime pas seulement en paroles », veut-il dire. « Mon cœur s'accorde avec ma bouche : je m'exprime donc en pleine liberté (...) » Il n'y avait rien de plus largement ouvert que le cœur de Paul. Il aimait ardemment tous les fidèles, comme si chacun était son préféré, sans laisser son affection se diviser ou s'affaiblir, mais en la faisant reposer tout entière sur chacun. Et qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'il ait eu un tel amour pour tous les fidèles, lui dont le cœur embrassait jusqu'aux infidèles de la terre entière ? C'est pourquoi il ne dit pas : « Je vous aime », mais ce qui est beaucoup plus éloquent: Notre bouche s'est ouverte, notre cœur s'est dilaté ; nous vous tenons tous au-dedans de nous, non pas d'une façon quelconque, mais de la façon la plus généreuse. Car celui qui est aimé se trouve parfaitement à l'aise dans le cœur de celui qui l'aime. C'est pourquoi saint Paul ajoute : Vous n'êtes pas à l'étroit chez nous, c'est dans vos cœurs que vous êtes à l'étroit. Vous voyez que son reproche est plein de délicatesse, comme il convient à ceux qui aiment vivement. Il ne dit pas : « Vous ne nous aimez pas », mais « Vous ne nous aimez pas dans la même mesure. » Car il ne veut pas les reprendre trop fortement. (...) On peut parfaitement voir combien son amour pour les fidèles est ardent, si l'on recueille ses propos dans chacune de ses lettres. Il dit aux Romains : J'ai un très vif désir de vous voir; j'ai souvent projeté de me rendre chez vous; il demande continuellement d'avoir enfin l'occasion de se rendre chez vous. Il dit aux Galates : Mes petits enfants que, dans les douleurs, j'enfante à nouveau. Aux Éphésiens : Je tombe à genoux en priant pour vous. Aux Philippiens : Quelle est notre espérance, notre joie, notre orgueil, sinon vous ? Et il disait que, dans sa captivité, il les portait dans son cœur. Aux Colossiens : Je veux que vous sachiez quel rude combat je mène pour vous et pour tant d'autres qui ne m'ont jamais vu personnellement, afin que vos cœurs soient encouragés. Aux Thessaloniciens :Comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons, ayant pour vous une telle affection, nous voudrions vous donner non seulement l'Évangile, mais tout ce que nous sommes. (...)
Vous n'êtes pas à l'étroit chez nous, dit-il ici aux Corinthiens. Il ne dit pas seulement qu'il les aime, mais aussi qu'il est aimé d'eux, afin de les attirer davantage. Et il l'atteste lorsqu'il dit : Tite est venu nous faire part de votre vif désir, de vos larmes, de votre zèle." (2)

(1) cf. 101 questions,  op Cit.
(2) Saint Jean Chrysostome,  Homélie sur la deuxième lettre aux Corinthiens, source AELF



29 juillet 2016

La tentation raisonnante

"Celui qui veut éprouver Dieu doit éprouver tout dans l'Un et ne s'opposer à aucune souffrance, mais cela c'est le Christ", disait déjà Denys (1)‎. Cette phrase introduit un long développement de Balthasar sur l'évolution de la pensée rationnelle au delà de Jean Tauler et de ses pairs. Il y décrit la tentation de tout ramener à la raison au point de sortir Dieu pour y substituer "la transcendance impersonnelle de notre esprit".

On sent bien à ce stade le risque qui pointe de ne plus vouloir accepter l'inconnu de Dieu. Ce qui est inconcevable par l'homme ne peut être. Mais la tentation de tout raisonner laisse-t-elle une place au souffle divin ?

Nous entrons là dans l'ère moderne. Notre chemin n'est-il pas d'entendre cet ultime défi de l'orgueil humain qui veut refuser ce qu'il considère comme étant la faiblesse de la foi. Notre tâche est immense car l'écart entre Dieu et l'homme n'a cessé depuis de s'étendre. Pour. Le rejoindre  "Il faut une Église qui n'ai pas peur d'entrer dans leur nuit. Il faut une Église capable de les rencontrer sur leur chemin. Il faut une Église en mesure de se mêler à leurs conversations. Il faut une Église qui sache dialoguer avec ces disciples, qui quittent Jérusalem, errent sans but, seuls avec leur désenchantement, avec la désillusion d'un christianisme considéré comme un terrain stérile, infécond, incapable de générer du sens." (2)

(1) GC7 p. 124
(2) Pape François, discours à l'épiscopat brésilien à Rio le 27/7/2013, cité par Spadaro op. Cit p. 98



28 juillet 2016

Les limites de l'apathie

Nous continuons notre lecture du tome 7 de la Gloire et la Croix (GC7). Au delà de F. Suarez et Maître Eckhart, l'apathie chrétienne semble s'être affrontée au réel, à la souffrance, dans son irréductible réalité. Doit-on pour cela nier l'intérêt du chemin intérieur qui relativisait notre importance et nous rendait disponible à Dieu ?
L'erreur d'Eckhart semble être pour Balthasar dans l'excès. L'apathie peut conduire à l'indifférence à l'autre, à l'individualisme mystique. A l'autre bout du spectre, la souffrance peut aussi nous envahir au point de rejeter Dieu...

Le chemin est dans  l'entre- deux, et probablement dans un retour au centre qui ne rejette ni la souffrance ni la kénose.




27 juillet 2016

Au service de l'homme

Toujours à la recherche de pépites je ne peux que reproduire cette citation qui fait écho à cette belle image longuement commenté de Bonaventure, qui voit l'homme tenant une misérable amphore au milieu du fleuve de l'amour divin(1). Ici Jean de Ruysbroeck va plus loin :‎ "Dieu s'est mis humblement au service de l'homme, si courtoisement et fidèlement que le chrétien se sent toujours loin derrière Dieu pour la vénération et le service" (2). 

On s'approche là de la danse kénotique de Dieu vers l'homme, dont on retrouve des accents chez J. Moingt.

L'accent trinitaire est aussi présent puisque l'auteur évoque au delà du Christ offert "cette lumière éclatante et incompréhensible : auguste Trinité" qui investit de tout son éclat et aveugle tout oeil humain, tellement elle est insondable"  (...) tout "revigorant l'homme" (3) de sa présence. 
Élan mystique ? Consolation ? Je pencherai pour une simple contemplation de la grâce divine, qui survient quand on ne l'attend pas et donne à l'homme la force d'agir.

(1) cf GC2 et mon livre éponyme.
(2) Jean de Ruysbroeck, L'ornement des oeuvres spirituelles, I, 12, cité par Hans Urs von Balthasar, GC7 p. 139
(3) ibid.


Semences et miséricorde

La liturgie nous donne à contempler le beau texte du semeur. Sous la plume de saint Jean Chrysostome on y voit la mesure débordante et miséricordieuse de Dieu : "On aurait raison de faire des reproches à un cultivateur qui semait si largement... Mais quand il s'agit des choses de l'âme, la pierre peut être changée en une terre fertile, le chemin peut n'être pas foulé par tous les passants et devenir un champ fécond, les épines peuvent être arrachées et permettre aux grains de pousser en toute tranquillité. Si ce n'était pas possible, il n'aurait pas répandu son grain. Et si la transformation n'a pas lieu, ce n'est pas la faute du semeur, mais de ceux qui n'ont pas voulu se laisser changer. Le semeur a fait son travail. Si son grain a été gaspillé, l'auteur d'un si grand bienfait n'en est pas responsable."‎ (1)

(1) ‎Saint Jean Chrysostome, ‎Homélies sur Mt, 44 (trad. Véricel, L'Evangile commenté p. 138s) ‎

Face à la haine

On ne peut que penser à la clairvoyance du regretté René Girard, dans cette surenchère mimétique qui s'amplifie et montre jusqu'où la folie humaine peut conduire.  Plus que jamais le silence de la Croix semble être la meilleure réponse à la surenchère et au bruit.
Seul le souffrant, élevé sur le bois de la Croix, apparaît comme la solution à cette haine.

26 juillet 2016

Nativité de la Vierge

Si l'on contemple aujourd'hui la nativité de la Vierge elle même et si l'on affirme qu'elle a été conçu sans péché,  ce n'est pas pour déclarer que l'union des corps est lieu de chute,  mais plutôt pour nous aider à percevoir le chemin qu'il nous reste à parcourir pour atteindre cette perfection à venir qui fera de nos corps le temple véritable du Seigneur. 
Qui sommes nous en effet pour accueillir en nous la sainteté de Son Corps déchiré ?
Si la grâce nous donne de le recevoir,  c'est peut être qu'à son contact ce qui est indigne de lui se purifie, tel un buisson épineux brûlant sans se consumer mais devenant empli de l'intérieur de l'inconnaissable et inouï amour de Dieu pour l'homme.
Creusons en nous cette soif intérieure qui transformera nos corps pour ne faire qu'avec lui une seule chair. Entrons dans cette dynamique sacramentelle qui fait de nous des fils, pâles images d'un Dieu qui se révèle en nous, en dépit de nos faiblesses.

" Tandis que le Christ saint, innocent, sans tache, venu uniquement pour expier les péchés du peuple, n'a pas connu le péché, l'Église, elle, qui renferme des pécheurs dans son propre sein, est donc à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement. » (LG 42)

25 juillet 2016

Le Dieu du sans pourquoi - Maître Eckhart

Depuis la rose qui fleurit sans raison (Silesius) jusqu'à l'homme qui parvient à l'acceptation totale des choses, sans plus s'interroger sur les raisons de Dieu, l'apport de Maître Eckhart, qui voit l'égalité de l'être et de Dieu n'est pas qu'un panthéisme indistinct. C'est aussi une contemplation qui rejoint l'apathie citée plus haut. L'homme y est appelé à chercher la "très chère volonté de Dieu et rien d'autre" (1)

(1) Hans Urs von Balthasar , op Cit, GC7 p. 106 citant Reden der Unterweisung 22, D V 285

24 juillet 2016

Ode à l'indifférence ou l'apathie

Chez François Suarez, disciple d'Ignace, l'indifférence de l'être surgit de nouveau d'une manière décisive. Elle n'est autre, nous dit Balthasar(1)  que l'attitude d'abandon des mystiques, ce que nous avons appelé décentrement, apathie et qui rejoint le "tout est rien" déclaré par Thérèse d'Avila. Elle remonte, nous dit Balthasar à l'époque pré-chrétienne, se trouve déjà chez Virgile et les Tragiques.
 C'est aussi le fameux abandon de soi, cette entière disposition du coeur au mystère incompréhensible de l'amour divin‎, réponse de l'homme à la kénose, agapè qui "ne cherche pas son intérêt" mais se confie à Dieu...

(1) cf. Hans Urs von Balthasar GC7, op Cit p. 96ss

23 juillet 2016

Kénose chez Tertullien

On ne peut que s'incliner devant la clairvoyance de Tertullien qui résume si bien, à sa manière l'hymne des Philippiens :
 : "Dieu ne pouvait pas vivre avec les hommes, à moins de prendre une manière humaine de penser et de réagir. C'est pourquoi il a voilé sous l'humilité l'éclat de sa majesté, que la faiblesse humaine n'aurait pas pu supporter. Tout cela n'était pas digne de lui, mais c'était nécessaire à l'homme, et du coup cela devenait digne de Dieu, car rien n'est aussi digne de Dieu que le salut de l'homme... Tout ce que Dieu perd, l'homme le gagne, si bien que tous les abaissements que mon Dieu a soufferts pour être près de nous sont le sacrement du salut des hommes. Dieu agissait avec les hommes, pour que l'homme apprenne à agir sur le plan divin. Dieu traitait d'égal à égal avec l'homme, pour que l'homme puisse agir d'égal à égal avec Dieu. Dieu s'est fait petit pour que l'homme devienne grand" (1)

Je retiens surtout cette allusion aux abaissements comme sacrements, car il donne au mot sa dynamique propre(2).

(1) Tertullien, Contre Marcion, 2, 27 ; PL II, 316-317, source AELF
(2) cf. aussi sur ce thème ma trilogie ou "dynamique sacramentelle".

22 juillet 2016

Église ouverte

Ne fermons pas la porte. Ne soyons pas "une église fermée" dans laquelle " les gens qui passent devant ne peuvent entrer" et d'où " le Seigneur qui est à l'intérieur, ne peut sortir"; ou pire avec des Chrétiens qui ferment à clé et "restent devant la porte‎" et "ne laissent entrer personne"(1)

(1) Pape François, messe à Sainte Marthe du 17/10 (2013 ?), cité par Spadaro, p. 93

21 juillet 2016

Le chemin du désert intérieur - Saint Bonaventure

On trouve dans le texte qui suit, le coeur de la spiritualité du disciple de saint François, mais aussi, des élans que lon pourrait trouver dans la spiritualité de Jean de la Croix.  

La contemplation de la Passion inspire à Bonaventure un double mouvement,  proche de ce "tout est rien" déjà évoqué chez Thérèse d'Avila.  Renoncer à l'intelligence des choses, d'une part,  s'abandonner à la volonté de Dieu d'autre part.  Ce décentrement n'est pas différent de ce que je cherche à décrire dans mon "chemin du désert", mais Bonaventure a une longueur d'avance. Il tend à la ressemblance : "Le Christ est le chemin et la porte, l'échelle et le véhicule ; il est le propitiatoire posé sur l'arche de Dieu et le mystère caché depuis le commencement.Celui qui tourne résolument et pleinement ses yeux vers le Christ en le regardant suspendu à la croix, avec foi, espérance et charité, dévotion, admiration, exultation, reconnaissance, louange et jubilation, celui-là célèbre la Pâque avec lui, c'est-à-dire qu'il se met en route pour traverser la mer Rouge grâce au bâton de la croix. Quittant l'Égypte, il entre au désert pour y goûter la manne cachée et reposer avec le Christ au tombeau, comme mort extérieurement mais expérimentant — dans la mesure où le permet l'état de voyageur — ce qui a été dit sur la croix au larron compagnon du Christ :Aujourd'hui avec moi tu seras dans le paradis. 

En cette traversée, si l'on veut être parfait, il importe de laisser là toute spéculation intellectuelle. Toute la pointe du désir doit être transportée et transformée en Dieu. Voilà le secret des secrets, que personne ne connaît sauf celui qui le reçoit, que nul ne reçoit sauf celui qui le désire, et que nul ne désire, sinon celui qui au plus profond est enflammé par l'Esprit Saint que le Christ a envoyé sur la terre. Et c'est pourquoi l'Apôtre dit que cette mystérieuse sagesse est révélée par l'Esprit Saint. 

Si tu cherches comment cela se produit, interroge la grâce et non le savoir, ton aspiration profonde et non pas ton intellect, le gémissement de ta prière et non ta passion pour la lecture interroge l'Époux et non le professeur, Dieu et non l'homme, l'obscurité et non la clarté ; non point ce qui luit mais le feu qui embrase tout l'être et le transporte en Dieu avec une onction sublime et un élan plein d'ardeur. Ce feu est en réalité Dieu lui-même dont la fournaise est à Jérusalem. C'est le Christ qui l'a allumé dans la ferveur brûlante de sa Passion. Et seul peut le percevoir celui qui dit avec Job : Mon âme a choisi le gibet, et mes os, la mort. Celui qui aime cette mort de la croix peut voir Dieu ; car elle ne laisse aucun doute, cette parole de vérité : L'homme ne peut me voir et vivre.

Mourons donc, entrons dans l'obscurité, imposons silence à nos soucis, à nos convoitises et à notre imagination. Passons avec le Christ crucifié de ce monde au Père. Et quand le Père se sera manifesté, disons avec Philippe : Cela nous suffit. Écoutons avec Paul : Ma grâce te suffit. Exultons en disant avec David : Ma chair et mon cœur peuvent défaillir : le roc de mon cœur et mon héritage, c'est Dieu pour toujours. Béni soit le Seigneur pour l'éternité, et que tout le peuple réponde : Amen, amen. (1)

"Qui parmi les hommes pourra donner l'intelligence de tout cela à l'homme ? Quel ange la donnera aux anges ? Quel ange à l'homme ? C'est à toi qu'il faut la demander, en toi qu'il faut la rechercher, à ta porte qu'il faut frapper. Et ainsi, oui, ainsi on recevra, ainsi on trouvera, ainsi la porte s'ouvrira (Mt 7,8)." ( 2)

(1) Saint Bonaventure,  Itinéraire de l'âme vers Dieu,  source AELF

Cf. Aussi chemins.eklesia.fr/lecture/bonnaventure

(2) Saint Augustin,  Les Confessions,  13, 38

 


20 juillet 2016

Pastorale et discernement - 3

Continuons notre lecture de Spadaro. A propos de la fameuse phrase du Pape dans l'avion de retour de Rio sur le "si une personne est homosexuelle et qu'elle cherche Dieu, qui suis-je pour la juger ?", Spadaro précise ‎une phrase suivante du pape :"la rencontre est l'objet d'un discernement"(1). Il n'y pas de tabous, ce qui compte c'est le kérygme, l'annonce de Jésus Christ plus qu'une pastorale "obsédée par la transmission désarticulée d'une multitude de doctrines à imposer avec insistance". Donner le goût de Dieu et l'éthique viendra par capillarité ajouterais-je. La rencontre du Crucifié nous conduit à l'essentiel et au sens de la loi et non l'inverse.

(1) Spadaro, op Cit p. 91ss


Passivité et décentrement - Maître Eckhart

Poursuivons notre lecture : "Où la créature finit, Dieu commence d'être". (1) "Sa chance suprême est dans sa suprême passivité" (2). Nous approchons là encore de cette kénose de l'homme comme chemin, pour moi, de réponse à la kénose divine (même si ce dernier thème est ‎loin d'être mentionné par Eckhart). Il entre néanmoins pour moi en résonance avec la "passivité plus que passive" dont parle Emmanuel Lévinas.

Plus Di‎eu agit, plus la créature doit rester passive, car c'est ainsi seulement que les deux deviennent un" (3)

A-t-on là l'aboutissement de l'une seule chair de Gn 2, 24, passer de l'union sponsale au corps glorieux qui nous rendrait tels des anges ? Ce serait la piste de Jésus en réponse à la question du lévirat ?

En attendant, pour Eckhart, cette unité qui naît de l'abandon nous fait entrer dans l'unité trinitaire. "L'événement de la Trinité est un". Toute production, même naturelle est trinitaire, active et passive et amour réciproque qui y respire (4).

(1) Maître Eckhart, Predigten 5b, D I 92, cité par Hans Urs von Balthasar, GC7, op Cit p. 111
(2) GC7 ibid.
(3) Serm. 2, n. 6, L IV 8
(4) Gc7, p. 112.

18 juillet 2016

Une vérité explosive - Pape François 2

Dans le sillage de nos réflexions sur la loi et la caresse, j'aime cette citation : "La vérité de Dieu est inépuisable, c'est un océan dont nous apercevons à peine le rivage". Plutôt que défendre notre vérité il faut l'accepter comme "un don trop large pour nous, qui nous amplifie, nous élève". Elle nous met au service de ce don. Il nous faut saisir "la beauté" et "le caractère explosif de cette vérité". L'éducation à la vérité est une tâche exigeante, non un lieu où l'on connaît toutes les réponses "mais ‎ le lieu où toutes les questions sont acceptées", où, à la lumière de l'évangile, on "encourage une recherche personnelle", sans "dresser un mur de paroles" (1)

(1) Jorge Maria Bergoglio, Scegliere la vita. Propose per tempi difficili,‎ Milan, Bompiani, 2013, p. 78. 80. 76, cité par Spadaro, op. Cit. p. 90.


17 juillet 2016

La pastorale du seuil

Une contemplation de la première lrcture d'hier, hors de son contexte d'interprétation trinitaire traditionnnel peut nous amener fort loin. Relisons le d'abord : "Dès qu'il les vit, il courut à leur rencontre depuis l'entrée de la tente et se prosterna jusqu'à terre. 
Il dit : « Mon seigneur, si j'ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t'arrêter près de ton serviteur.
Permettez que l'on vous apporte un peu d'eau, vous vous laverez les pieds, et vous vous étendrez sous cet arbre.
Je vais chercher de quoi manger, et vous reprendrez des forces avant d'aller plus loin, puisque vous êtes passés près de votre serviteur ! » Ils répondirent : « Fais comme tu l'as dit. »
Abraham se hâta d'aller trouver Sara dans sa tente, et il dit : « Prends vite trois grandes mesures de fleur de farine, pétris la pâte et fais des galettes. »
Puis Abraham courut au troupeau, il prit un veau gras et tendre, et le donna à un serviteur, qui se hâta de le préparer.
Il prit du fromage blanc, du lait, le veau que l'on avait apprêté, et les déposa devant eux ; il se tenait debout près d'eux, sous l'arbre, pendant qu'ils mangeaient."  (Gn 18).
A l'aune de Mathieu 25, qui nous demande de voir Jésus dans les affamés de Dieu, on pourrait y voir une autre façon de vivre la pastorale. Et l'appel du pape à nous concentrer sur la périphérie constituait à courir vers l'homme blessé, tuer le veau gras (cf. Luc 15) et lui laver les pieds (cf. Jean 13), ne serions nous pas au coeur du message évangélique.  Que ce texte de Gn 18, soit une référence commune aux trois religions monothéistes n'est pas neutre.  Le lire à lz lumière des trois évangélistes cités lui donne une couleur particulière.  Elle rejoint l'accent particulier du bon Samaritain (Luc 10)

14 juillet 2016

La caresse et la loi - Pape François

Une question demeure dans un monde qui semble indifférent aux normes éthiques de base. Faut-il insister sur la loi, les règles la morale, alors que le monde rejette ces excès de moralisme (à l'exception d'un reste qui se réfugie au contraire dans ces protections factices) ? La réponse du pape est cohérente avec son idée d'hôpital de campagne : "Dieu ne nous sauve pas seulement par un décret, par une loi, il nous sauve par la tendresse, les caresses, il nous sauve par sa vie pour nous" (1)

Le pape ne met pas pourtant en arrière plan les préceptes moraux, précise Spadaro, il "invite à placer la doctrine morale de l'Église dans le contexte qui lui donne sa signification"(2).

"Nous ne pouvons guérir un malade si nous ne partons pas de ce qu'il y a de sain en lui (3)", il faut donc partir de ce qui est positif, des ressources dont le malade dispose encore, d'une disponibilité à la grâce qui n'a pas été entamée (4), précise Spadaro.

L'enjeu, et je le rejoins là tout particulièrement est dans la qualité de la relation : "plus qu'insister sur une norme objective indiscutable à laquelle chaque chrétien doit se conformer, le pape préfère demeurer ouvert à l'Esprit qui parle au croyant à travers sa vie, dans l'originalité des situations, dans le vif d'un moment historique donné, et dans la communauté des croyants qu'est l'Eglise"(5).


(1) Homélie du 22/10/13 à Sainte Marthe, citée par Spadaro, op. Cit p. 86.
(2) Spadaro, Cette Eglise que j'espère, p. 87
(3) Jorge Mario Bergoglio, Nel cuire dell'uomo. Utopia e impregno, Milan, Bompiani, 2013, p. 54, cité par Spadaro, Ibid.
(4) Spadaro, ibid.
(5) ibid. p. 90.


11 juillet 2016

La quête de sens

"On ne peut pas vivre pour l'avenir sans comprendre que le sens de la vie est plus grand que ce qui n'est que matériel et passager, que ce sens est au-dessus de ce monde-ci. Si la société et les hommes de notre continent ont perdu l'intérêt pour ce sens, ils doivent le retrouver... Si mon prédécesseur Paul VI a appelé saint Benoît de Nursie le patron de l'Europe, c'est parce qu'il pouvait aider à ce sujet l'Église et les nations d'Europe."

A contempler

(1)  Saint Jean-Paul II, Discours à Nursie, Italie 23/3/80 (trad. DC n° 1784 20/04/80) Source AELF

10 juillet 2016

Le bon Samaritain - Saint Sévère d'Antioche

Si dans la Parabole nous pouvons voir facilement que le Christ nous invite à sa suite à soigner l'humanité, nous pouvons contempler ce qu'ajoute Sévère d'Antioche : "Le Samaritain voyageur qui était le Christ donc — car il voyageait vraiment — a vu l'humanité qui gisait par terre. Il n'est pas passé outre, car le but qu'il avait donné à son voyage était « de nous visiter » (Lc 1,68.78), nous pour qui il est descendu sur la terre et chez qui il a logé. Car il n'est pas seulement « apparu, mais il a conversé avec les hommes » en vérité (Ba 3,38)... Sur nos plaies il a versé du vin, le vin de la Parole, et comme la gravité des blessures ne supportait pas toute sa force, il y a mêlé de l'huile, sa douceur et son « amour pour les hommes » (Tt 3,4)... Ensuite, il a conduit l'homme jusqu'à l'hôtellerie. Il donne ce nom d'hôtellerie à l'Église, devenue le lieu d'habitation et le refuge de tous les peuples... Et une fois arrivés à l'hôtellerie, le bon Samaritain a témoigné à celui qu'il avait sauvé une sollicitude encore plus grande : le Christ lui-même était en l'Eglise, accordant toute grâce... Et au chef de l'hôtellerie, symbole des apôtres et des pasteurs et docteurs qui leur ont succédé, il donne en partant, c'est-à-dire en montant au ciel, deux pièces d'argent pour qu'il prenne grand soin du malade. Par ces deux pièces, entendons les deux Testaments, l'Ancien et le Nouveau, celui de la Loi et des prophètes, et celui qui nous a été donné par les évangiles et par les écrits des apôtres. Tous les deux sont du même Dieu et portent la seule image de ce seul Dieu d'en haut, comme les pièces d'argent portant l'image du roi, et ils impriment en nos cœurs la même image royale par le moyen des saintes paroles, puisque c'est un seul et même Esprit qui les a prononcées... Ce sont les deux pièces d'un seul roi, donnés en même temps et à titre égal par le Christ au chef de l'hôtellerie...  Au dernier jour, les pasteurs des saintes églises diront au Maître qui reviendra : « Seigneur, tu m'as donné deux pièces d'argent, voilà qu'en les dépensant, j'en ai gagné deux autres », par lesquels j'ai accru le troupeau. Et le Seigneur répondra : « C'est bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle en peu de choses, je te préposerai à beaucoup. Entre dans la joie de ton Seigneur » (Mt 25,23)."

(1) Saint Sévère d'Antioche, Homélie 89 (trad. de Lubac, Catholicisme, Le Cerf 1947, p. 341 rev.), source AELF

09 juillet 2016

Que craignez vous ?

L'Évangile du jour (Mat 10, 24-33) et son commentaire de Jean Chrysostome (1) s'accordent à poser la question ? Que craignez vous ? Et pourtant nous résistons,  englués dans le confort douillet de nos vies, nos peurs d'être dérangés, mis à nu. C'est bien là l'enjeu.  Quitter nos adhérences humaines, nos habits de fêtes (Ex 33), jusqu'à nos sandales (Ex 3), avancer au large, quitter nos certitudes (Gn 15 et 17, Ga 3). Ils étaient nus et il n'en avaient pas honte (Gn 2, 25). Enlever nos habitudes anciennes pour revêtir le Christ (Ga 3,  27). Pour Ronald D. Witherup, c'est pour Paul une allusion au baptême(2),  c'est à dire mourir de l'homme ancien pour vivre en Christ.  
Seigneur,  donnes-nous cette force. Elle ne peut venir que de toi...

(1)Saint Jean Chrysostome, 1ère homélie avant son 1er exil, 1-3 ; PG 52, 427-430
(2) 101 questions,  op. Cit p. 112



Vivre en Christ

J'aime bien le commentaire de Witherup sur l'expression "en Christ" chez Paul. Après avoir rappelé 2 Cor 5, 17 :"Si donc quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature; les choses vieilles sont passées; voici, toutes choses sont devenues nouvelles", Rom 8,1 :"ceux qui marchent selon l'esprit" et 2 Cor 12, 2.19 , il évoque le fait de s'abandonner à la puissance du Christ de telle sorte que ce soit le Christ ressuscité ‎qui dirige notre vie dans toutes ses dimensions" (1) 

Personnellement j'y vois une facette ultime de la dynamique sacramentelle qui fait du "Une seule chair" de Gn 2 une invitation à s'unir au Christ dans sa vocation miséricordieuse la plus large.

(1) Ronald D. Whiterup, 101 questions et réponses sur Paul de Tarse, Bruxelles, Lumen Vitae 2010, p. 107 (question 60)

08 juillet 2016

Création dynamique

Dans sa très riche analyse de Paul, Ronald D. Whiterup souligne qu'un des traits de sa théologie est celle d'un Dieu créateur qui "continue de créer" l'univers. Il cite pour cela le verset 6 de 1 Cor 8 :"Toutefois, nous n'avons qu'un seul Dieu, qui est le Père, duquel procèdent toutes choses, et nous sommes pour lui; et un seul Seigneur Jésus-Christ, par lequel sont toutes choses, et nous sommes par lui.‎"

Dans "Où es-tu mon Dieu, souffrance et création", j'aborde ‎ce sujet du Dieu omni-créateur en introduisant une limite celle de notre liberté. Tension ? Oui si l'on considère notre liberté comme toute puissance, non si l'on accepte de penser que nos erreurs font partie d'un plan de Dieu qui nous dépasse. (1) Ronald D. Whiterup, 101 questions et réponses sur Paul de Tarse, Bruxelles, Lumen Vitae 2010, p. 101 (question 57).


07 juillet 2016

Face à la barbarie - Saint Jean-Paul Il

En ces périodes de trouble, j'apprécie tout particulièrement ce texte que nous rappelle l'AELF dans sa méditation du jour, Jean Paul II y évoque les événements du 11 septembre et conclut :"quel est le chemin qui conduit au plein rétablissement de l'ordre moral et social qui est violé de manière aussi barbare ? La conviction à laquelle je suis parvenu en réfléchissant et en me référant à la révélation biblique est qu'on ne rétablit pleinement l'ordre brisé qu'en harmonisant entre eux la justice et le pardon. Les piliers de la véritable paix sont la justice et cette forme particulière de l'amour qu'est le pardon." (1)

A méditer à la lumière de la Croix et de cette phrase issue du Cantique des Cantiques : "Fort comme la mort est l'amour" que nous aimons transformer en cette année de la miséricorde en disant, à la suite de nos pères "L'amour est plus fort que la mort"

(1) Saint Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale de la Paix 2002, §1-2 (trad. © Libreria Editrice Vaticana)

06 juillet 2016

Le choix de Judas

" Il a voulu l'abandon, il a voulu la trahison, il a voulu être livré par son apôtre, pour que toi, si un compagnon t'abandonne, si un compagnon te trahit, tu prennes avec calme cette erreur de jugement et la dilapidation de ta bonté" (1)

À contempler

(1) Saint Ambroise, Commentaire sur l'évangile de Luc, V, 44-45 (trad. cf SC 45, p. 199)

05 juillet 2016

Pape François - Une pensée ouverte

Dans son deuxième  commentaire de l'interview qu'il a eu avec notre pape, Antonio Spadaro souligne un point qui mérite d'être commenté tant il rejoint nos travaux sur la dynamique :"le pape François donne du jésuite (et donc de lui même)" une définition qui donne à penser :"une personne incomplète à la pensée ouverte" et encore "Le jésuite pense continuellement, en regardant l'horizon et en mettant le Christ au centre" (...) Pour lui c'est en marchant qu'on ouvre le chemin (1).

Revenons sur la première définition. L'incomplétude est signe d'humilité. S'il est incomplet c'est bien parce qu'il reste en mouvement, ouvert sur le monde et surtout sur ce que Dieu veut. L'enjeu est d'articuler "recherche, créativité générosité" et "humilité, sacrifice courage" (2), allant jusqu'à la "kénose", à "sortir de notre amour de notre volonté et de notre intérêt" (3)

Nous rejoignons là nos travaux sur "kénose et miséricorde".

(1) Le pape François, L'Église que j'espère, Flammarion/Etudes, 2013 p. 56
(2) p. 57
(3) p. 59

04 juillet 2016

Vide et plénitude - Saint Thomas d'Aquin

La quête de l'Aquinate, toute centrée sur la compréhension de "l'esse" est aussi un lieu d'humilité. Selon Balthasar, la plénitude et le vide qui frappait Nicolas de Cuse et Thomas "fait déclarer qu'au fond de toute précision se trouve l'imprécision (...) [et conduit] l'homme à osciller entre grandeur et misère. Cette zone intermédiaire exige comme fondement constant d'une métaphysique une humilité active de chaque instant, qui, sans renoncer à la vérité, ne revendique jamais une vérité définitive et quasi divine" (1), mais s'approche du réel, "le pénètre et cependant le dépasse"(2).‎
N'est-ce pas toute notre quête face à un Dieu qui se voile et se dévoile pour nous attirer sans contrainte ‎dans ses filets et nous conduire à contempler son plan pour l'homme sans en tirer gloire.

(1) Hans Urs von Balthasar, GC7, op Cit p. 78
(2) ibid.


Le désir de Dieu - Mechtilde de Magdebourg

Contempler "Dieu, brûlant de désir" qui sort de lui et va dans "ce qui est étranger à Dieu", éveille par là le désir de l'âme, la submerge de son flot et l'oblige à se répandre avec lui, dans l'excès de sa plénitude, sur tout ce qui est étranger, nous pécheurs, "l'imperfection des clercs", "la misère des pauvres âmes" dans la plus totale liquéfaction (2), tel est pour moi l'enjeu d'une vision de la kénose trinitaire.
Malgré ses élans poétiques et mystique il y a chez Mechtilde comme chez François d'Assise une approche superbe de la diffusion de la bonté et de la grâce divine qui rejoint ce que je tente maladroitement de décrire dans l'amphore et le fleuve, puis dans Kénose, humilité et miséricorde

(1) Mechtilde de Magdebourg, La lumière de la divinité qui se répand, cité par Hans Urs von Balthasar, in GC7, op Cit p. 64
(2) Balthasar ibid.

03 juillet 2016

Humilité et beauté

Dans la mouvance de ma trilogie sur Humilité et miséricorde, je ne peux que relever cette belle prière de louange de François d'Assise :"Tu sei amore et charità, Tu sei sapienta, Tu sei humilità, Tu sei patienta, Tu sei belleza... Tu sei bonté infinita" (1)

Là où Balthasar ajoute un commentaire c'est de montrer que l'axe de François dépasse la distinction entre datio et donatio d'Erigène‎ ou entre création et décoration de l'école de Chartres pour ouvrir à une autre dimension soulignée par Thomas d'Aquin et propre à François celle qui met en "harmonie [douloureuse] humilité, pauvreté et beauté" (2)

(1) François d'Assise, Bénédiction et louange pour frère Léon in Franz von Assise, Legende und Laude, O. Karrer, 1945, 3eme édition, p. 552 cité par Hans Urs von Balthasar, GC7, op. Cit p. 57.
(2) GC7 p. 58.

02 juillet 2016

Le summum de la bonté

Dans les résumés saisissants de Balthasar qui nous portent de l'école de Saint-Victor à l'école de Chartres, puis à la métaphysique de Thomas d'Aquin ressort à la fois la recherche de l'être dans une dynamique trinitaire et le bon et le beau comme sommet de l'esse divin. Quel est l'enjeu de son discours sinon de nous conduire, au delà d'un lien trop étroit entre Trinité et création vers la contemplation de la Bonté comme centre et finalement du Christ comme seule forme, figure et sommet de la révélation.
On comprend cela quand il cite E. Gilson qui affirme que "l'exemplarisme est le coeur de la métaphysique" (1).
Une question se pose. S'est-on éloigné de l'imitation paulinienne ? Tout ce détour par les Transcendentaux est-il nécessaire ?
Ne cédons nous pas là au rêve, à la tentation mystique ? Oui et non, tant la contemplation du beau peut être porte du ciel. Et pourtant la gloire du Christ n'est pas dans sa beauté platonique, elle réside dans sa pauvreté et sa kénose et la beauté du Christ en Croix est d'un autre ordre que les canons de l'esthétique.

(1) Etienne Gilson, La philosophie de saint Bonaventure, 12eme édition (1943), p. 120, cité en GC7 p. 54

01 juillet 2016

Se laisser envahir

Il nous faut contempler " l'envahissement de l'amour incompréhensible de Dieu qui nous crée et nous fait don du monde" (1) nous dit Hugues de Saint-Victor. Pourquoi parle-t-il d'incompréhension ? Est-ce pour souligner notre indignité foncière face à l'abondance de l'amour du Père. Je pencherai ‎plutôt, à la suite de Bonaventure, pour cette image de l'homme debout dans le fleuve et tenant une pauvre amphore, telle qu'évoquée également par Balthasar en GC2 (2).

(1) Arrha an., II, 959 sq. Cité par Hans Urs von Balthasar in GC7, op Cit  p. 41.
(2) titre repris pour mon livre : l'Amphore et le fleuve.

30 juin 2016

La figure de David 2

Étonnante, cette histoire de 1 Sam 6 que la liturgie des heures nous propose.  On y voit David danser devant son Dieu et s'exposer ainsi, dans la nudité et l'humilité. Cela évoque la nudité d'Adam qui n'a pas honte (Gn 2, 25), mais aussi l'humilité de ceux qui enlèvent leurs vêtements de fête (Ex 33).
Visiblement cela ne plaît pas à son épouse,  Michol, la fille de Saul.
A contempler

Il faut peut être aussi entendre la question d'Isaïe :"
 Quelle est donc la maison que vous bâtiriez pour moi ? Quel serait l’emplacement de mon lieu de repos ? De plus, tous ces êtres, c’est ma main qui les a faits et ils sont à moi, tous ces êtres – oracle du Seigneur –, c’est vers celui-ci que je regarde : vers l’humilié, celui qui a l’esprit abattu, et qui tremble à ma parole." (Isaïe 66, 1-2)

Puis entendre celle de Zacharie : "Et toi, petit enfant, tu seras appeléprophète du Très-Haut : *tu marcheras devant, à la face du Seigneur,et tu prépareras ses chemins" (Lc 1, 76)

Le plan de Dieu

Contempler l'hymne de l'univers,  c'est voir ce qui de révèle au delà du chaos, percevoir la trace fragile du plan de Dieu et l'oeuvre des deux mains de Dieu qui faconnent le monde sans violence : "En vérité (...) le Créateur de toutes choses, l'Invisible, Dieu lui-même a établi chez les hommes la vérité en envoyant du haut des cieux sa Parole, le Verbe saint et insondable, et l'a affermi dans leurs cœurs.   (...) « le bâtisseur et l'architecte » de l'univers (He 11,10). (...) C'est de lui que toutes choses ont reçu disposition, limites et hiérarchies : les cieux et tout ce qui est dans les cieux ; (...) non pas, comme une intelligence humaine pourrait le penser, pour la tyrannie, la terreur et l'épouvante –- Mais en toute bonté et douceur, il l'a envoyé comme un roi envoie son fils (cf Mt 21,37), comme le dieu qu'il était. Il l'a envoyé comme il convenait pour les hommes : pour les sauver par la persuasion, non par la violence. Il n'y a pas de violence en Dieu." (1)

(1) La Lettre à Diognète, §7 ; PG 2, 1174-1175 ; SC 33 bis (trad. SC p. 67 rev.)

29 juin 2016

En marche

Tout est marche. "Cela s'applique à l'individu comme à l'humanité dans son ensemble. Parce que l'individu devra sans cesse partir du même point et accomplir la même ascension (qui s'écarte du monde et de la sensibilité pour tendre vers Dieu et à l'esprit), le cheminement de l'humanité ne peut lui aussi être un progrès que dans la mesure où se présente en lui exemplairement l'acte de quitter et de tendre comme le pas unique qui va de l'Ancienne Alliance à la Nouvelle (1)". L'enjeu n'est il pas de reprendre les termes mêmes de Paul.  "Oubliant le  chemin parcouru, je vais droit de l'avant, tendu de tout mon être (Ph. 3, 13).
Notre vie se résume à cette dynamique, commencée depuis Abraham et se poursuivant en chaque homme. "Ils quitteront père et ‎mère pour ne faire qu'une seule chair" avec Dieu...
Tel est l'enjeu de notre vie. Telle est notre vocation. On peut s'arrêter en chemin, mais le terme du voyage est là. C'est l'enjeu de l'homme comme celui de l'Église. Et le sacrement source n'est autre que le chemin et la vie.

Le chemin parcouru décide, lui‎ seul est, dans son caractère mobile, l'image de l'unité divine dans l'histoire du salut. Dans la figure, seule est intéressante la vérité, dans l'obscurité de l'ancien, seul le dévoilement du nouveau. (2) "c'est le changement lui-même qui démontre plus profondément l'unité des Testaments (3)".

Nous retrouvons là ce que nous cherchons à décrire dans la dynamique sacramentelle ce chemin qui est notre appel. Ne pas se contenter du présent, rester en tension. Il ne peut y avoir ‎de port, de certitudes acquises. La course infinie dont parle Grégoire de Nysse est ce qui garantit que notre passé est balayure et notre avenir, un Dieu qui nous attend.

(1) GC2 p. 93 citant Augustin, De vera religione (VR), 19‎.
(2) GC2, ibid.
(3) VR 39‎.